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examen des circonstances de ces livres, l’histoire même qu’ils contiennent ne peut longtemps échapper. Réprimée en France dans Richard Simon par l’influence de Bossuet, qui s’en épouvante, la critique s’en va prendre sa revanche en Hollande par le Dictionnaire de Bayle, puis revient en France, à l’abri d’une connivence générale, avec Voltaire ; mais c’est en Allemagne qu’elle prend sa plus redoutable extension. Là l’érudition patiente, incroyablement hardie à force de naïveté, remue et retourne toutes les pierres de l’édifice, sans d’abord se douter qu’elle va le faire tomber sur sa tête. Bochart, Huet, Vossius et d’autres, frappés de certaines analogies entre les récits de la Bible et les fables grecques, avaient repris une ancienne opinion qui ne voulait voir dans ces fables qu’un retentissement lointain et une tradition falsifiée de l’histoire biblique. Après les travaux de Heyne sur les mythologies, cette opinion trop absolue est remplacée par une idée plus vraie et plus féconde : c’est que, chez les divers peuples, les événemens dont le souvenir s’altère viennent bientôt à se poétiser à travers les générations, et, s’ornant de symboles, d’allégories et d’interventions divines, fournissent partout un fonds analogue de mythes qui deviennent l’expression de la foi religieuse. Mais alors, si cette tendance à créer les mythes est naturelle et universelle, s’il est vrai que le peuple, bien loin de contrôler avec soin les miracles avant de les accepter, les cherche au contraire et en met partout, pourquoi ce regard de la critique ne se porterait-il pas aussi légitimement sur les histoires bibliques et évangéliques ? De là cette nouvelle et vaste science des mythes, qui étudie la manière dont les faits réels deviennent des légendes fabuleuses, ou dont une pensée, un sentiment, un désir de la foule se revêt peu à peu d’une légende qui la personnifie : science réelle, puisqu’elle a pour objet un problème réel et de premier ordre, quoiqu’elle ait pu et dû souvent tâtonner et extravaguer, comme il arrive à toute nouvelle science. Voici donc la controverse arrivée à une troisième phase, qui est celle où nous sommes, celle de l’exégèse universelle, où l’histoire est sondée dans tous ses recoins, où toute tradition est analysée, comparée, classée où, par une coïncidence remarquable, des villes perdues sortent de dessous les collines de sable qui les ont ensevelies et conservées, avec leurs palais, leurs temples, leurs tombeaux et leurs dieux. Des langues éteintes reprennent la voix, des écritures oubliées trahissent leur muette signification, comme si la Providence avait disposé toutes choses pour révéler de nos jours à l’humanité la variété des formes dont elle a revêtu sa pensée, et son unité dans ses transformations.

Là donc est pour le christianisme la vraie question d’aujourd’hui. Le terrain disputé est large et assez bien défini déjà. La philologie, la critique, l’histoire comparée, avec de profondes études sur les procé