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ait jamais sérieusement bouillonné dans son âme ; il reste sans broncher ce qu’il a été d’abord, un croyant occupé de l’avenir de sa croyance, un chrétien attendant une révélation nouvelle, un homme stable entre deux attractions contraires. Dans Lamennais, la passion, mobile de sa nature, suit l’esprit partout où il va, et l’esprit va selon le temps, La passion l’empêchera toute sa vie d’être un, et de comprendre le fond de ce que lui-même il pense. Que ses croyances fussent sincères, c’est de quoi il n’est pas permis de douter : on le sent à le lire, on le sent surtout dans ses lettres, dans ses opuscules ascétiques, dans ses réflexions sur tous les chapitres de l’Imitation de Jésus-Christ. Au fond pourtant, à qui croit-il ? à lui-même. Il prétend fonder la foi sur l’autorité seule, et c’est, à son insu, pour les autres qu’il parle ; il n’accepte l’autorité pour lui-même qu’à la condition qu’elle soit telle qu’il l’a conçue, et non autrement. C’est avec une parfaite vérité qu’il confessera cette réserve à la fin dans les Affaires de Rome. Pourquoi en effet a-t-il abjuré l’église catholique ? Parce que, dit-il, « après avoir conçu tout un ensemble de choses sous certaines conditions fondamentales que de bonne foi il croyait universellement admises, » il avait appris par sa condamnation qu’il s’était trompé, « que les bases sur lesquelles son esprit s’était appuyé n’étaient que de fausses imaginations, et qu’en un mot il avait vécu durant de longues années dans une erreur involontaire et complète sur des points d’une importance première. » On a donc ici le singulier spectacle d’un homme qui, pendant la première moitié de sa vie littéraire, s’est élevé presque à la hauteur d’un père de l’église, qui, par de longs travaux, a détruit le gallicanisme et répandu des vues nouvelles sur la doctrine, et qui tout d’un coup, se heurtant contre l’autorité dont il avait fait lui-même la base universelle, abandonne cette même doctrine et déclare ne l’avoir jamais comprise. Dès qu’elle n’est pas ce qu’il la croyait, il la renie. Il n’a tant marché que parce qu’il ne savait point où il allait. Sa foi, très sincère, n’a jamais été qu’une illusion ; en ruinant la raison de l’individu au profit de l’autorité, il ne croyait qu’en sa conception individuelle, et dès que l’aile du songe a cessé de la soutenir, tout s’évanouit ; il s’était trompé, lui si impérieux et si affirmatif, sur tout et sur lui-même dès le point de départ.

Combien cette situation d’esprit, moins rare qu’on ne pense, répandrait de lumières sur l’avenir, si on pouvait la sonder dans sa profondeur et dans son étendue ! Les disciples de Lamennais l’ont abandonné quand il n’a plus été que lui-même : ils ont préféré naturellement leur foi ancienne aux interprétations nouvelles et condamnées ; mais qu’est-ce qui les avait attirés à lui, si ce n’est le besoin du nouveau ? qu’est-ce qui les avait tant échauffés, si ce n’est