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loquent et austère dogmatiser à peu près dans le même esprit et avec le même dédain des anciennes méthodes, la nouveauté parut plus périlleuse, et une attention plus jalouse suivit tous les pas de ce nouveau prophète qui s’élevait en Israël. Quant à lui, en mêlant sa nouvelle philosophie aux vives luttes politiques de la restauration, en échauffant à la fois les esprits méditatifs et les cœurs passionnés, en dégageant la controverse des routines de l’école et en évoquant contre les sceptiques et les hérétiques non plus l’argutie en forme, mais l’imposant témoignage de l’humanité unanime, il ouvrit un immense horizon aux regards du jeune clergé, qui se sentit respirer mieux dans cette plus large atmosphère.

Déjà sa parole pénétrait, en dépit de la plupart des professeurs, à travers les murs des séminaires. Voix prophétique sortant de la solitude, elle attaquait sans ménagement « la scolastique mesquine et dégénérée, incapable de donner aux élèves aucune idée de l’ensemble de la religion ni de ses rapports merveilleux avec tout ce qui intéresse l’homme, avec tout ce qui peut être l’objet de sa pensée. » Ce fut surtout lorsque Lamennais eut rompu avec le gouvernement et donné les premiers signes d’un passage aux doctrines libérales que les sympathies et les adhésions se multiplièrent. Bientôt une jeune école de lévites et de laïques se forma autour de lui. C’est à ce moment qu’on peut remarquer dans notre littérature catholique les premiers indices d’un changement remarquable, suscité, stimulé, inauguré par Lamennais. Ceux qui connaissent ce côté de l’histoire intellectuelle de notre époque savent qu’avant lui la discussion apologétique, soit dans les livres sortis du clergé, soit dans la chaire, tournait sans avancer dans un cercle d’idées rebattues, leur donnant à peine quelque nouveauté de forme, et tombant dans la plus fastidieuse rhétorique. Strictement enfermées dans l’étroite spécialité du sujet, la métaphysique et la critique religieuses étaient également épuisées, parce qu’elles ne s’alimentaient que dans les deux siècles précédens, épuisés eux-mêmes, et ne s’infusaient aucun sang nouveau pris aux sources contemporaines. Les Conférences de Frayssinous furent le dernier effort et le dernier éclat de cette école qui s’éteignait d’inanition : depuis Lamennais, ce fut tout autre chose. Lisez les livres qui sortent du clergé, ceux du moins qui se lisent, il en est de beaux et d’excellens ; écoutez les prédications qui attirent la foule, il en est de solides et de brillantes : comparez-les aux écrits et aux sermons de l’époque antérieure. Combien seraient surpris et sans doute scandalisés les hommes respectables qui rapprochaient si ingénieusement des textes épars de l’Écriture sainte et péroraient avec tant d’entraînement contre Voltaire et Rousseau, s’ils entendaient aujourd’hui dans les chaires des cathédrales la