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vérité, » et posait les premières assises d’un corps de doctrines qui, selon lui, devait bientôt, comme au moyen âge, enfermer toutes les connaissances humaines dans la religion comme tous les peuples dans l’église. Il agitait ainsi les esprits d’une féconde inquiétude, et l’on put croire un moment qu’il avait jeté un pont entre deux grandes périodes de l’esprit humain. Ce n’est pas tout : cette révolution philosophique, il voulait la faire réaliser par l’autorité même ; voyant le salut de l’église dans son système, il espérait que le pape en imposerait l’enseignement, comme nous le verrons d’après sa correspondance. Voilà le lien qui unit sa politique et sa philosophie. Il voulait, comme Joseph de Maistre, que le pape fût tout-puissant, et seul infaillible, afin qu’il pût aviser selon la nécessité des temps : de là cet effort extraordinaire, et en apparence inopportun, pour ruiner les résistances gallicanes, et condenser l’église dans la papauté. Ainsi il y avait solidarité entre ces questions peu comprises dans le monde, et tout cela était plus sérieux qu’on ne se l’imagine communément.

Il fut donc du petit nombre de ceux qui, après la grande révolution française, comprirent d’une part qu’on n’en avait point fini avec la théologie, et d’autre part eurent l’intuition obscure, imparfaite, mais certaine, d’un nouvel état des âmes dans l’ordre religieux. Comme Saint-Martin, de Maistre, Bonald, ces hommes que la philosophie opposée n’avait pas compris, qu’elle avait même quelque peu persiflés, Lamennais avait pressenti un besoin d’élargissement de la pensée croyante ; mais c’est de Joseph de Maistre qu’il relève le plus directement sur les points principaux. Froissés par les événemens extérieurs de la révolution, Lamennais et de Maistre l’ont tous deux haïe, mais en même temps ils en ont reçu le contre-coup intellectuel à des profondeurs qu’ils ignoraient eux-mêmes. Tous deux ont entrevu une autre révolution cachée dans la première, couvant au fond des choses, et dont ils croyaient l’éclosion plus prochaine qu’elle n’était : erreur de perspective assez fréquente dans nos prévisions, mais qui ne les infirme nullement. Tous deux se sont donné la mission de sauver l’église : ils lui ont dit de resserrer l’autorité dans son sein, comme une armée se rallie et concentre le commandement devant un grand péril ; ils ont dit au pape, comme à un dictateur de la foi, de se tenir prêt pour un grand acte dans le ministère de la parole. Aussi travaillent-ils surtout l’un et l’autre à rétablir en théorie le principe le plus absolu d’unité et d’autorité dans l’organisation religieuse. Seulement de Maistre, dans son allure plus libre et plus laïque, cherche à l’autorité des fondemens rationnels, politiques, juridiques, dans la nature même des institutions, dans la nécessité d’une juridiction suprême et d’un dernier ressort. Lamennais, prêtre,