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c’est que l’examen installé à Rome, ou seulement en Italie, et parlant italien, à Rome surtout, où l’état n’existe que par la foi et pour la foi, où les secousses éprouvées par l’une ébranlent l’autre, où, l’une détruite, l’autre s’écroule ? N’est-il pas évident que là, comme partout, ce que la prohibition et le silence ne peuvent plus donner, il faudra désormais le demander au renouvellement des études, à la discussion acceptée sur toutes choses, renoncer aux vieux argumens qui répondent à ce qu’on ne dit plus, mesurer la théologie contre toutes les sciences, suivre la critique dans toutes ses recherches nouvelles ? Voilà donc l’autorité elle-même forcée, sous peine de périr, de commander un vaste mouvement de controverse. En outre, toute discussion sérieuse produit des réactions réciproques, et modifie, souvent à leur insu, tous ceux qui y prennent part ; de là une crise de la foi. C’est ce qu’a compris, c’est ce que redoute l’ancien régime romain ; là aussi se trouve la cause d’une résistance si longue, très naturelle, et, quoi qu’on dise, très désintéressée, aux moindres réformes. L’autorité religieuse, comme toute autre autorité, est conservatrice de sa nature, et c’est son rôle de résister à l’inconnu. Or l’inconnu est ici étrange et redoutable. Faut-il s’étonner qu’ils s’en effraient, ceux qui croient que la forme historique du dogme est aussi immuable que le dogme même, qui confondent le dogme avec son symbole expressif ou avec son vêtement légendaire, qui ne comprennent point que la vitalité est mobile, et se défient du développement, de la transformation, comme si se développer et se transformer n’étaient pas l’acte même de la vie ? Cependant, quand les situations sont irrésistibles et résultent de causes séculaires, elles sont l’œuvre de la Providence, et au-dessus du pape et de l’église il y a Dieu.

Eh bien ! encore à ce point de vue plus lointain, Lamennais avait aperçu quelque chose de ce qui menaçait. Il avait jugé l’église plantée trop à l’étroit pour résister aux vents nouveaux qui s’élevaient de toutes parts. Il avait entrepris de lui faire pousser de plus longues racines dans les croyances universelles, et d’assimiler en quelque sorte le christianisme à la pensée la plus générale de l’humanité. Dans cette vue, il imagina une nouvelle philosophie : philosophie mal préparée, point assez approfondie d’avance, laborieusement enfantée par morceaux peu adhérens, mais enfin qui témoignait du pressentiment d’une grande nécessité, et tentait hardiment une vaste substruction pour remplir le vide creusé sous le vieil édifice. Par la résolution et la constance avec lesquelles il combattit pour élever la science religieuse au niveau des autres sciences, il mettait au rebut l’ancienne controverse, « renversait de fond en comble, selon l’expression du père Lacordaire, l’antique organisation de la