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civile, et constituant ainsi, par le dogme appuyé sur la force, l’unité des esprits dans les états chrétiens, tel était l’idéal du moyen âge, que l’auteur de l’Essai sur l’Indifférence se proposait alors de perfectionner pour l’avenir, et c’est bien là l’esprit du régime qui succombe en ce moment. — Dans sa seconde période, désabusé des rois et de l’efficacité de la force, Lamennais chercha le renouvellement de la foi dans une alliance entre la papauté et les libertés modernes, espérant tirer de la discussion et de la puissance intrinsèque de la vérité ce que les moyens extérieurs ne suffisaient plus à produire : c’est bien là aussi, pour les croyans qui reconnaissent des nécessités nouvelles, l’esprit des réformes modérées et des libertés conservatrices qu’ils demandent à introduire dans le gouvernement papal. — Enfin, dans sa troisième période, lorsque, pour avoir voulu imposer ses vues avant le temps, pour avoir manqué de la mesure qui règle l’effort et de la patience désintéressée qui sait attendre, condamné, déçu, désorienté, livré à la susceptibilité hautaine de son caractère, il se trouva comme précipité hors de lui-même, on le vit se dresser contre cette même autorité qu’il avait imposée aux autres, déclarer à la papauté une guerre mortelle, et la proclamer incompatible avec les destinées futures du monde : en cela encore, il ne fut que l’organe anticipé du parti qui veut déraciner du sol européen le gouvernement sacerdotal. — Ainsi ces trois élémens que nous voyons lutter simultanément aujourd’hui dans la plus fondamentale et la plus intime des révolutions modernes, Lamennais les a contenus successivement en lui trente ans d’avance.

Mais il y a plus. La révolution romaine, sous les diverses réformes qui en sont l’enveloppe, couvre un principe qui les remplit toutes, les anime et en est l’inspiration commune : c’est le principe ou, si l’on veut, le fait du libre examen. Voilà ce qui donne à cette révolution son immense gravité : l’examen envahissant Rome, qui l’exclut de partout ! Si réduites que soient les concessions, elles doivent nécessairement aboutir à une application pratique de la discussion politique. Or à la politique confinent la philosophie et l’histoire : elles n’y confinent pas seulement, elles y entrent par tous les côtés, et ni la philosophie ni l’histoire ne peuvent être séparées de la religion, qui en est le centre. Accordons autant de délais qu’on en voudra ; obligeons l’examen et la critique religieuse à des précautions, à des détours, à de longs sous-entendus : toujours est-il que la liberté politique est grosse de toutes les libertés de la pensée, depuis surtout que la pensée s’est créé des communications sans nombre. Il suffirait d’ailleurs de la contagion des pays limitrophes : supprimée au dedans, la critique coulerait encore par toutes les frontières et filtrerait de toutes les sources. Or comprend-on ce que