Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/768

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nord du gouvernement de Novgorod, et d’attendre là son bon plaisir. L’intervention de l’impératrice Marie, de très douce mémoire, abrégea cet exil ; il lui fut permis de retourner dans sa terre du gouvernement de Kalouga, et peu de temps après, l’empereur, par un de ces brusques retours qui lui étaient si familiers, lui fit dire qu’elle était libre de visiter ses domaines, de changer de séjour, de venir même dans la capitale quand la cour en serait absente. Elle n’eut ni le temps ni le désir de profiter de ces adoucissemens avant la catastrophe du 12 mars 1801, qui mit un terme à la vie de l’empereur. Dès qu’Alexandre fut monté sur le trône, il l’invita à reparaître à la cour. « Mais j’étais, dit-elle, trop valétudinaire, trop désabusée, et je prévoyais que la bonté de l’empereur et les principes de justice et d’humanité qui lui avaient été inspirés ne le préserveraient pas de donner aveuglément sa confiance à ceux qui l’approchaient. » Elle craignit de nouvelles déceptions et préféra consacrer ses dernières années à l’amélioration du sort de ses paysans, au milieu desquels elle s’éteignit, le 4 janvier 1810, à l’âge de soixante-sept ans.

Quelque temps avant sa mort, elle écrivait à miss Wilmot, l’amie qui nous a conservé ses souvenirs : « J’ai fait tout le bien qui était en mon pouvoir ; je n’ai nui à personne ; l’unique vengeance que j’ai tirée de l’injustice, des intrigues et des calomnies dirigées contre moi à diverses époques a été l’oubli ou le mépris ; j’ai rempli mes devoirs dans toute l’étendue que j’ai pu leur donner ; avec un cœur honnête et des intentions pures, j’ai eu à supporter de poignans chagrins, sous lesquels ma trop grande sensibilité m’eût fait succomber, si je n’avais eu le témoignage consolant d’une bonne conscience ; je vois enfin sans crainte et sans inquiétude approcher le terme de ma vie. » Peu de femmes de la cour de Catherine II ont eu le droit de prononcer de telles paroles au lit de mort.


Pce AUGUSTIN GALITZIN.


Récits de l’Histoire Romaine au Ve siècle. — Derniers temps de l’Empire d’Occident, par M. AMEDEE THIERRY[1].

Nos lecteurs connaissent déjà la plupart de ces belles études, où M. Amédée Thierry, à la fois disciple intelligent et émule heureux de son illustre frère, a raconté quelques-uns des principaux épisodes de la chute de l’empire d’Occident. Parmi les livres d’histoire publiés depuis quelque temps, il n’en est pas dont la lecture soit plus instructive, plus attachante, et je dirais volontiers plus amusante. Je risque à dessein cette dernière épithète, en dépit du caractère de sévérité gourmée et de majesté froide qu’on a trop longtemps aimé à prêter à l’histoire, car il n’est jamais permis d’être ennuyeux, même dans les sujets les plus graves, et celui-là n’est pas digne du nom d’historien qui ne sait pas parvenir à amuser son lecteur, étant donné la richesse des matériaux et des moyens qu’il possède. L’auteur des Récits Mérovingiens n’aurait pas récusé cette épithète, et je suis sûr que M. Amédée Thierry ne la récusera pas. À force de patience et d’étude, il s’est tiré avec un bonheur parfait des difficultés en apparence insurmontables que présentait

  1. 1 volume in-8o Didier.