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les tendances de l’esprit allemand, les ravages qu’a faits chez ce peuple intelligent la maladie du jour, la manie des questions extérieures et des problèmes qui ne peuvent se résoudre que par la guerre. Il est inutile de dire que la jalousie de la France fait les frais de la plupart de ces écrits : c’est l’Alsace et la Lorraine allemande, la France devant le tribunal de l’Europe ou la Question des frontières, le Bonapartisme et ses dangers, etc., où l’on répond, par la revendication de nos provinces allemandes, au cri des frontières du Rhin poussé parmi nous. Les brochures qui nous sont favorables sont rares. Il y en a cependant ; mais, sauf un écrit hardi de M. Frédéric de Thielau, la Question allemande, les productions qui nous sont bienveillantes sont remarquables par la bizarrerie des conceptions qu’elles révèlent. Nous en signalerons deux de ce genre, émanées d’un personnage mystérieux et singulier, qui, sous le nom du père Athanase, a esquissé un projet de remaniement de la carte de l’Europe dans les Neuf Points cardinaux pour régler les affaires de l’Europe conformément aux inspirations d’en haut et d’après les lignes de démarcation des nationalités, et dans un autre écrit, rédigé sous forme de dialogue, où trois anges décident des destinées de l’Europe. Ce père Athanase était, dit-on, diplomate du temps du congrès de Vienne. Les scrupules de conscience qu’il apportait dans la politique ne pouvant s’accommoder à son gré avec les nécessités de sa carrière, il entra dans les ordres, devint évêque, et, toujours poursuivi par les mêmes délicatesses de conscience, quitta la mitre pour le froc. Ce saint homme, qu’un Français prendrait volontiers pour un mystificateur, veut d’abord faire rentrer les Turcs en Asie ; il enlève à l’empereur François-Joseph ses possessions allemandes, qu’il donne à la maison de Hohenzollern, élevée à l’empire d’Allemagne, sacre François-Joseph empereur de Constantinople, rétablit la Pologne, la Hongrie, et rend la terre sainte aux chrétiens, tout cela par la vertu pacifique d’un congrès. À côté du mysticisme du vieux diplomate enfroqué, les vues d’un des chefs de la démocratie allemande, M. Arnold Ruge, font une étrange figure. M. Ruge vient de tracer son programme de politique extérieure dans une brochure publiée en Angleterre : les Trois Peuples et la Légitimité, ou les Italiens, les Hongrois et les Allemands devant la chute de l’Autriche. Le titre de son livre indique assez la pensée du démocrate allemand. Il prévoit l’explosion prochaine d’une guerre nouvelle entre l’Autriche et l’Italie, et veut que la démocratie allemande saisisse l’occasion pour aider les Italiens et les Hongrois à s’affranchir définitivement, dissoudre la monarchie autrichienne, et réformer la confédération par la médiation des princes des états secondaires. Un grand nombre de ces brochures allemandes proclament la nécessité d’un changement de régime en Autriche, la plupart demandent que l’Autriche sorte de la confédération germanique, et que la maison de Hohenzollern se place à la tête de l’unité allemande. Le plus souvent la pensée qui inspire ces tendances unitaires est une pensée de défiance et de jalousie contre la France : c’est contre nous que l’on veut