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n’a guère le droit de l’espérer. Lorsque d’ailleurs l’on songe aux élémens qui composent les populations de la Turquie, lorsqu’on se rappelle que dans cette terre les alluvions de l’histoire de vingt siècles sont demeurées à côté les unes des autres sans se mêler et se confondre, que sur chaque coin de cette terre et dans cette sorte de détritus humain toutes les races, toutes les langues, toutes les religions se coudoient en se méprisant, en se détestant, en nourrissant les unes contre les autres des levains séculaires d’envie et de vengeance, on est effrayé de l’épouvantable mêlée qui se produirait le jour où sonnerait pour l’empire ottoman l’heure du jugement dernier. Si enfin la pensée se tourne vers les rivalités auxquelles l’héritage de l’empire ottoman donnerait lieu parmi les puissances européennes, on comprend mieux encore la gravité des problèmes qui s’agitent sur cet empire, dont la fin violente ferait éclater d’effroyables maux, et que l’on ne sait pourtant comment faire vivre

Les événemens et ce que l’on peut appeler la question de Syrie nous fournissent un exemple des inextricables difficultés attachées à la vie et à la mort de l’empire ottoman. Certes, s’il était une question qui parût devoir dominer les rivalités des puissances européennes, c’était celle-là, tant l’intérêt d’humanité y dominait les autres préoccupations. Dans toute l’Europe, l’élan de l’opinion a été le même : il fallait aller arrêter l’effusion du sang chrétien, protéger des vies menacées par le brigandage et le fanatisme, obtenir en faveur des victimes les plus justes redressemens, infliger aux coupables les expiations les plus méritées. Si des considérations politiques devaient se mêler à cette œuvre, elles semblaient ne pouvoir que confirmer les prescriptions dictées par l’humanité. Tous les cabinets connaissent l’état de la Turquie, ils savent tous que les diverses parties de cet empire sont exposées aux calamités qui ont affligé la Syrie. Une intervention prompte et puissante de l’Europe vigilante et unanime eût été un avertissement qui eût profité à tout l’empire ottoman. Les plus grandes puissances, la France et la Russie, mais nulle dans une proportion aussi considérable que l’Angleterre, comptent sous leur domination des populations musulmanes. Toutes savent combien sont contagieuses les émotions de l’islamisme, et les révoltes de l’Inde ont appris assez chèrement à l’Angleterre avec quelle rapidité redoutable elles se propagent. Il y avait donc, pour les états qui possèdent des populations musulmanes, un intérêt de sécurité à ne pas laisser ériger en exemple impuni les exploits du fanatisme en Syrie, et à en tirer un châtiment immédiat et saisissant. Eh bien ! il est pénible de voir que la France seule dans cette circonstance ait obéi spontanément à l’impulsion généreuse, et n’ait réussi par son initiative qu’à soulever contre elle de tristes défiances. Sans doute, il fallait ménager, dans cette indispensable intervention, les droits de la souveraineté ottomane et définir avec soin l’importance, le caractère et la durée de l’intervention ; mais ne pouvait-on pas se mettre bientôt d’accord sur ces questions de détail ? Le concert commandé à l’Europe