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les affaires avec la réalité. Nous recommanderons son livre à quiconque, cédant à des idées trop communes aujourd’hui, serait tenté de croire que tout gît en fait dans l’ordre social, et que la force et le hasard ont seuls produit ces accidens que nous appelons droits et conventions. On y apprendra que dans les choses politiques il y a une vérité, et par conséquent une science comme dans tout le reste. Croire que l’agréable gouverne la morale et l’utile la politique, disait un ancien, c’est un dogme de courtisane.

Vous changeriez le genre du dernier mot que la pensée serait encore vraie. Courtisans ou courtisanes, le nombre est grand de ceux qui ne croient à rien. Comme il arrive souvent, l’incrédulité les mène à l’idolâtrie, et qui ne respecte pas le droit adore bientôt le fait. Mais laissons là les gens qu’on ne persuade pas ; leur indifférence serait sans conséquence, si elle n’était encouragée et comme autorisée par le renoncement plus désintéressé des esprits sincères que nous avons accusés de pessimisme. Les événemens ont multiplié les déceptions, et de nos tristes expériences on a pu tirer à volonté ces deux conclusions : « Il n’y a pas de vérité, et il ne faut penser à rien qu’à soi. » Ou bien : « La vérité est bonne pour l’esprit, mais elle n’a pas de chances. Le temps s’y refuse ; on peut encore penser, si bon le semble, mais il n’y a rien à faire. » Cette dernière conclusion est celle à laquelle trop souvent s’arrêtent des hommes éclairés, mais désabusés ou plutôt dégoûtés par les événemens, car dans la vie publique il y a une chose plus difficile peut-être que de braver les périls, c’est de surmonter les dégoûts. Si l’on me passe l’expression, il en coûte moins de combattre le serpent Python que d’avaler des couleuvres, et les gens de cœur ne connaissent la peur que sous la forme du découragement. C’est à cette sorte de faiblesse que nous voudrions opposer des objections de théorie et de pratique.

Rien n’est plus commun en philosophie que de suivre le cours d’idées que voici : Jeune, on adopte avec confiance, quelquefois avec enthousiasme, la doctrine d’une école. On la médite, on la développe, on s’y confirme par la controverse, on se croit enfin des principes à jamais assurés ; mais si l’on a l’esprit clairvoyant, flexible, sincère, on aperçoit un jour les côtés faibles du système adopté. Quel qu’il soit, il n’est pas inattaquable. Dans l’esprit de l’homme, point de vérité qui n’ait ses obscurités et ses lacunes, point de doctrine qui n’encoure des objections embarrassantes, des difficultés qu’on ne peut écarter. On le reconnaît avec de la réflexion et de la bonne foi, et au lieu de passer outre, en se tenant ferme au certain et à l’évident, sans se laisser ébranler par le douteux et l’insoluble, on se trouble, on s’alarme, on modifie ses idées, non dans ce qu’elles