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sympathie sont-elles acquises à ces opiniâtres amis de la vérité qui persistent à penser comme ils ont pensé et à confesser la même foi, malgré les dérisions de la foule. Tels sont les sentimens que nous a fait éprouver la lecture d’un livre de législation publié par un des magistrats les plus distingués de nos jours. Sous ce titre : Du Droit industriel, un jurisconsulte d’un esprit philosophique, M. Renouard, vient de composer un ouvrage dont toutes les pages sont remplies de ces hautes et sages pensées qui peuvent seules rendre à la législation ses principes et à la société sa dignité. Il ne faut pas se tromper à ces mots : droit industriel. L’industrie est prise ici dans le sens général que lui assigne la théorie de l’économie politique. Il s’agit de toute exertion de l’activité humaine assujettissant à son service une portion de la matière, en sorte que le livre pourrait aussi bien être intitulé : De la législation du travail. On conçoit comment un tel ouvrage embrasse la plupart des plus importantes questions qui ont préoccupé la société actuelle. En abordant soit l’exposition, soit la critique des vues qui les ont réglées ou doivent les régler, l’auteur est obligé de passer en revue toutes les formes, toutes les applications de l’activité productive, et par conséquent toutes les parties de l’organisation sociale qui intéressent les classes laborieuses, à vrai dire toutes les classes aujourd’hui, car toute oisiveté privilégiée, si elle existe, n’est qu’un abus. Ainsi le droit industriel touche par mille points au droit civil et reconnaît les mêmes principes, tant par rapport aux personnes que par rapport aux choses ; l’état des premières est loin d’être indifférent à leur travail, et peut-être est-ce en vue de rendre celui-ci plus productif qu’on l’a jadis rendu servile. C’est donc l’esclavage que M. Renouard rencontre d’abord sur son chemin, et c’est la première sentence de condamnation qu’il ait à prononcer. Qu’on ne dise pas que la cause est jugée ; à peine l’est-elle dans les faits, et en droit la manie de réhabiliter tout ce qui reste de l’âge barbare des sociétés n’a pas négligé l’apologie de l’esclavage. Je ne serais pas étonné même qu’il se rencontrât des gens pour regretter la servitude des noirs de nos colonies, uniquement parce qu’elle a été abolie par la révolution de 1848. La passion de donner tort aux idées modernes, la rancune contre les événemens qui déplaisent, le désir de convaincre d’erreur tout ce qui s’est pensé depuis 1789, la mauvaise humeur contre tout ce qui s’est fait depuis douze ans peut aller jusque-là. Sachons gré à l’un de nos habiles collaborateurs d’avoir osé établir dans ce recueil que la production du sucre s’était grandement accrue à Bourbon depuis l’affranchissement des noirs ; sachons gré à l’habile jurisconsulte dont j’étudie l’ouvrage d’avoir renouvelé contre la condition servile les arrêts de, la science et de la raison. Tout est à redire quand tout est à rapprendre.