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les fidèles à voir avec grande confiance les résultats du génie des temps modernes : ils sont dus en général à un mouvement intellectuel qui date de la renaissance et qui n’est pas né au sein du catholicisme. Quelque esprit qui le dirige d’ailleurs, le travail d’une société en quête des biens de la terre, fût-ce du plus noble des biens, la liberté politique, est suspect à la piété même. Elle peut absoudre, elle peut tolérer, elle ne peut guère admirer ni célébrer des efforts bornés au royaume qui est de ce monde. La sévère peinture que le christianisme le plus doux et le plus pur se fait de la nature humaine s’accorde mal avec un sentiment d’entière sympathie pour tout ce qu’elle entreprend dans l’enthousiasme de ses forces, de sa puissance et de ses idées. Il attend peu d’une sagesse qu’il ne lui inspire pas ; il doit naturellement rabaisser l’orgueil de ses espérances et contester la satisfaction qu’elle montre de ses succès. Rappeler aux hommes la misère de l’humanité et le néant de ses œuvres est un devoir de la parole sainte, et ce devoir, l’église l’a souvent rempli de nos jours avec complaisance.

Ceux dont nous venons de parler étaient pour notre temps autant de censeurs naturels et presque d’adversaires obligés : ces dernières années lui en ont donné d’autres auxquels il devait moins s’attendre. Il n’est pas rare de rencontrer des hommes qui, trente ou quarante ans en çà, ont conçu une grande et systématique idée de la forme sociale inaugurée par la révolution française, et qui, appuyés par la réflexion et l’expérience, se sont jugés les fidèles interprètes et les meilleurs propagateurs de la vérité politique. Embrassant avec une vive ardeur la cause d’un temps qu’ils croyaient comprendre mieux que personne, il n’a pas tenu à eux que leur doctrine ne devînt la croyance universelle. Les événemens sont survenus, avec eux les échecs et les mécomptes, et à leur suite un scepticisme plaintif ou un dédain superbe. Prophètes déçus, ils ont trouvé que c’étaient les choses qui avaient tort, et prompts à accuser les autres d’illusions pour pallier leurs propres erreurs, ils ne portent plus qu’un regard hostile ou inquiet sur tout ce qui s’est pensé, parce qu’ils condamnent tout ce qui s’est fait. À leurs yeux, tout a dépéri : pas un principe, une espérance, une tentative qui ne fût téméraire ; l’œuvre de 1789 a radicalement échoué. Les maux de la société sont incurables ; ses progrès prétendus sont une apparence trompeuse ; la démocratie moderne n’est qu’une turbulente décadence. Qui n’est assourdi de plaintes éloquentes sur l’anarchie morale à laquelle le monde semble condamné sans retour ?

Que ce gémissement accusateur se fasse entendre dans le camp des partis qui ne triomphent pas, cela peut encore se concevoir, quoiqu’on ne puisse le répéter à leur exemple ; la chose étonnante,