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De quels panégyriques adulateurs notre temps n’a-t-il pas été l’objet ? Qui ne se souvient de l’avoir entendu célébrer comme le véritable âge d’or, et quelle large part notre pays ne se faisait-il pas dans cette préconisation d’une nouvelle humanité ! Tout serait changé pourtant, s’il fallait en croire des juges sérieux dont on ne saurait méconnaître le nombre ni l’autorité. Leur sentence est diversement motivée, mais elle aboutit à la même conclusion, celle que Dante écrivait sur la porte du lieu sans nom : « Laissez l’espérance. »

Il existe parmi nous un parti peu nombreux aujourd’hui, mais fort respectable, qui, par ses souvenirs du moins, se regarde comme la grande victime de la révolution française. Les hommes qu’elle a le plus directement combattus dans leurs principes, frappés dans leurs intérêts, outragés dans leur orgueil, persécutés dans leurs personnes, étaient recevables à ne rien augurer de bon de cette vaste expérience d’innovation sociale, et ceux qui les représentent aujourd’hui, malgré les lumières et l’apaisement que le temps apporte, ont une tendance naturelle à regarder comme vains ou malheureux les efforts que la société fait depuis plus d’un demi-siècle pour changer sa condition. En renonçant à défendre l’ancien régime, on peut encore se refuser à reconnaître les avantages du nouveau, et quand on s’efforce de rester fidèle à une seule forme de royauté représentée par un seul nom, on doit considérer avec défiance et même avec aversion tout ce qui se fait sans elle, tout ce qui atteste et signale une activité nationale qu’elle ne guide plus. Comment donc s’étonner que la société actuelle, dans ses prétentions comme dans ses œuvres, trouve ses spectateurs les plus incrédules et ses appréciateurs les moins indulgens parmi ceux qui protestent encore contre le principe de tous les gouvernemens dont le drapeau n’est pas celui de Louis XIV ?

Le clergé peut encore être compté au premier rang des censeurs du siècle. Le temps est passé sans doute où il faisait cause commune avec le parti dont je viens de parler ; ses liens sont rompus ou du moins fort relâchés avec l’ancienne monarchie. La vieille doctrine attribuée à la cour de Rome, celui-là est roi qui possède, a fini par envahir l’église qui s’appelait jadis gallicane, avec tout le reste des idées ultramontaines. D’ailleurs de nouvelles générations de lévites sont venues qui ont reconnu l’inutilité, pour ne pas dire le danger, de quereller sans cesse la société que l’on veut convertir, et certaines déclamations rétrospectives se font plus rarement entendre du haut de la chaire. Si parfois on y vante le passé, c’est le moyen âge et non plus l’ancien régime. Cependant on ne peut nier que l’esprit de l’église, que la religion elle-même, avouons-le, porte peu