Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/722

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

droit de dynastie ; Louis XIV s’arme du legs du roi mourant pour mettre la main sur l’opulent héritage ; l’Angleterre se jette dans la lutte en haine de la puissance française, qui voit s’abaisser les Pyrénées ; l’Espagne seule peut-être n’est comptée pour rien. Il arrive cependant un fait curieux et rare dans l’histoire des guerres et des transactions diplomatiques, c’est que cette paix d’Utrecht, si chèrement achetée, poursuivie à travers tant de violentes péripéties, était, à tout prendre, la combinaison la mieux faite pour concilier tous les intérêts confondus dans une mêlée de treize années. Elle donne raison à l’Europe sans donner tort à la France, et l’Espagne échappe au démembrement qui la menace. Par la division permanente des deux couronnes, l’équilibre des forces européennes est garanti dans ce qu’il a de juste, de préservateur pour toutes les indépendances. Par l’avènement de la maison de Bourbon à Madrid, l’idée principale, essentielle de la politique française, l’idée d’extension d’influence est réalisée dans ce qu’elle a de légitime, tandis que l’Espagne reste intacte avec une dynastie nouvelle qui représente pour elle l’intégrité nationale, l’alliance de la France et un esprit de rajeunissement intérieur.

Une des plus puériles erreurs serait de ne voir dans ces grandes mêlées, où se sont jouées si souvent les destinées des peuples, qu’une lutte de dynastie à dynastie, une antipathie de maisons royales ou le triomphe d’un droit de famille. Les dynasties n’ont une signification, une puissance morale et une valeur pour les peuples que par ce qu’elles sont, par ce qu’elles représentent. Si Guillaume III n’eût été que l’époux de la reine Marie quand il alla délibérément enlever le trône de Jacques II, les Anglais ne se seraient pas détachés du dernier des Stuarts pour se précipiter au-devant du froid petit-fils du Taciturne. Charles II d’Espagne emportait au tombeau le dernier mot d’une politique. L’avènement de Philippe V était plus qu’un changement de dynastie ; c’était un changement d’esprit, d’idées, de direction politique, une vraie révolution par le rajeunissement de la royauté, et c’est ce qui fait de cette date de 1700 le point décisif où une période finit et où commence une période nouvelle de transformation lente, graduée, souvent précaire, mais incessante. Les Espagnols ne se précipitèrent pas au-devant de Philippe V, ils l’accueillirent et ils sentirent battre en lui un cœur devenu espagnol le jour où, menacé de perdre l’appui de la France dans un moment de détresse, pressé par Louis XIV, qui semblait fatigué de lutter, il répondait avec fierté : « Puisque Dieu a mis la couronne d’Espagne sur ma tête, je la soutiendrai tant que j’aurai une goutte de sang dans les veines. Je le dois à ma conscience, à mon honneur et à l’amour de mes sujets. Je ne quitterai l’Espagne qu’avec la vie, et