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il est vrai, mais avec un sentiment qui n’était pas moins prévoyant et juste, ces cortès de Tolède dont je parlais le furent pour Charles-Quint en 1538. « Réunissons-nous pour nous informer de la situation du royaume et pour soulager ses maux, disaient les grands espagnols à peu près comme les députés français ; que les guerres cessent, et que le roi s’établisse en Espagne… » Charles-Quint était trop puissant encore, Napoléon était peut-être déjà trop atteint et trop engagé pour reculer. Je ne sais ce qui serait arrivé si Napoléon eût réussi assez longtemps pour que son système devînt une tradition ininterrompue. Ce qui est certain, c’est que l’individualité française risquait de disparaître dans ce vaste amalgame de peuples, et l’excès de cette politique se révèle surtout dans ces luttes tragiques des derniers jours où la France s’épuise encore à défendre Hambourg et Dantzig lorsqu’elle est déjà menacée dans ses frontières et dans son foyer. Les revers de 1814 et de 1815, dans leur brutale puissance, eurent du moins pour nous une compensation, celle de rendre la France à elle-même, d’éclairer sa politique à la lueur de ses désastres, et de la replacer enfin, vaincue, diminuée, éprouvée, mais non découragée de ses aspirations légitimes, en face de ses vrais intérêts de grandeur et d’avenir. Le système impérial disparut avec Napoléon, la France resta ; elle resta d’autant plus armée pour l’avenir que, par une de ces représailles qu’on croit toujours habiles et qui ne sont que dangereuses, on la réduisait à l’état d’une de ces forces comprimées qui tendent sans cesse à reprendre leur juste niveau. Charles-Quint alla demander le repos au monastère de Yuste, et l’Espagne ne fut pas déliée de sa politique. Ce fut son malheur, et c’est aussi la différence entre les deux pays, entre les deux époques.

Les grands hommes coûtent quelquefois assez cher aux peuples. Charles-Quint a coûté à l’Espagne toute une destinée prématurément comprimée. Alors commence cette longue décadence qui se communique aux institutions, aux mœurs, à l’intelligence, aux intérêts matériels, et qui se reflète dans la dégénérescence même de ces ternes héritiers de la maison de Habsbourg, dont le premier seul, Philippe II, dans sa fixité froide et dans sa sombre impassibilité, garde encore un air de mystérieuse et farouche grandeur. Tout s’en va avec Philippe III, Philippe IV, avec cette succession de favoris plus rois que les rois eux-mêmes, le duc de Lerme, le comte-duc Olivarès, — l’un ambitieux, avide de richesse et d’influence, l’autre présomptueux, altier et prodigue. De Lerme gouverne l’indolente et méticuleuse dévotion de Philippe III ; Olivarès occupe de tournois et de fêtes la frivolité de Philippe IV, de ce prince qu’on s’amusa un jour à appeler le grand en lui donnant pour armes parlantes un puits avec cette devise : « Plus on lui retire de terre, plus il est