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nement du roi Charles. L’Espagne vit d’un œil jaloux et inquiet ce jeune prince à la physionomie étrangère, à la parole froide et réservée, qui arrivait avec sa cour de Flamands comme en pays conquis, et ne se montrait aux cortès que pour prêter un serment ambigu aux droits populaires. Prince et nation s’observaient dans une méfiance mutuelle et dans l’attente. L’élection de Charles à l’empire enflamma la lutte ; l’Espagne vit ce que signifiait pour elle cette élection : c’était la nécessité de donner des hommes et de l’argent à l’empereur, et la perspective de rester à la merci d’un lieutenant étranger, tandis que le nouveau césar faisait de l’Allemagne le centre de sa puissance. Les villes s’agitèrent aussitôt : Tolède donna le signal et fut suivie de Ségovie, de Zamora, de Madrid, d’Avila, de Valladolid, de Burgos. La sainte junte se forma, et la guerre civile fut au cœur de la Castille. D’un côté était l’insurrection frémissante, embrassant d’abord toutes les classes, le clergé, les nobles, le peuple, ayant son armée et ses chefs, de l’autre le flegmatique Charles gouvernant du fond de l’Allemagne par son régent flamand, Adrien d’Utrecht, n’ayant qu’un petit nombre d’adhérens, et comptant peut-être sur la force du sentiment monarchique espagnol aussi bien que sur les divisions des insurgés.

Un des traits les plus curieux de ce mouvement, et qui révèle le mieux son caractère, peut-être sa faiblesse, c’est que les comuneros essayèrent de s’abriter sous le nom et l’autorité de cette malheureuse princesse Jeanne, qui était reine de droit, mais qui avait perdu la raison, et que son mari Philippe le Beau, de son vivant, avait fait enfermer à Tordesillas. Ils allèrent tirer d’une prison cette ombre de royauté pour l’opposer au tout-puissant césar, et la pauvre reine, éblouie et surprise, semblait renaître à ce souffle de faveur populaire, sans trop comprendre ce qui se passait autour d’elle. « Croyez-moi, répondait-elle à ceux qui lui parlaient, tout ce que je vois et tout ce qu’on me dit est un songe. » Sa raison se voila de nouveau de mélancolie, et l’insurrection resta avec ses chefs de toute sorte. Le plus brillant, le plus héroïque, fut Juan de Padilla. C’était un jeune homme de Tolède, de bonne naissance, de manières séduisantes, d’un cœur martial et aimé du peuple. Il était capitaine, la sainte junte le nomma son général. Le plus bizarre personnage du mouvement était l’évêque de Zamora, Acuna, homme sec et nerveux, aussi prompt au conseil qu’à l’action, toujours prêt à se jeter dans les tumultes, et plus fait pour porter l’épée que l’habit de prêtre. La guerre des comuneros, je l’ai dit, était une insurrection de l’esprit de nationalité : ce qui le prouve bien, c’est la nature des griefs énumérés par la junte d’Avila. Que voulaient après tout ces révolutionnaires ? Ils demandaient à Charles de revenir