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sur le continent, la plus guerrière et la mieux préparée à servir un dessein de domination universelle. C’est l’avènement de Charles-Quint qui signale cette transformation. L’heure de la politique nationale et de la vraie grandeur, c’est le moment où l’Espagne, délivrée des Maures, unie par la fusion de ses royaumes, placée en face de ses destinées naturelles vers le Portugal, fière de ses libertés populaires encore vivantes et forte de toutes les énergies individuelles disciplinées sous une main douce et ferme, se personnifie dans cette reine héroïque et maternelle, Isabelle de Castille, qui, avec des qualités bien contraires, est au-delà des Pyrénées ce que Henri de Navarre est en France à l’issue des guerres civiles. Ce qu’on a nommé ensuite la grandeur espagnole n’a plus vraiment rien d’espagnol : c’est le résultat de cette étrange rencontre à un moment de l’histoire d’un peuple exubérant de vie, plus avancé d’ailleurs que tous les autres peuples, et d’un jeune dominateur merveilleusement placé pour tourner cette héroïque virilité au profit d’une ambition de règne.

Le sens des grands faits historiques se révèle quelquefois par un signe léger. Sous quel nom est connu le fondateur de la maison de Habsbourg au-delà des Pyrénées ? Pour nous tous, pour l’histoire, c’est Charles-Quint ; pour l’Espagne, il est Charles Ier. L’empereur éclipse le roi. C’est qu’en effet ce Charles Ier d’Espagne, plus heureux dans sa destinée que celui d’Angleterre, est aussi peu Espagnol que possible par le sang et par les traditions. Il tient sans doute par sa mère, la pauvre reine Jeanne, aux rois catholiques, à Isabelle de Castille, à l’astucieux et politique Ferdinand d’Aragon ; mais il tient surtout par son père, Philippe le Beau, aux Habsbourg, à la maison de Bourgogne, dont il recueille les traits, les états et l’ambition. Sa politique est l’image de sa situation au centre de tous ces droits héréditaires ou électifs qui lui donnent à la fois les Pays-Bas, l’Aragon, la Castille, une partie de l’Italie et l’empire. L’idée de monarchie universelle qu’il représente au XVIe siècle est moins une idée espagnole qu’une ambition de sang et de race. Charles-Quint a pu être un glorieux, empereur ; pour la Péninsule, l’avènement de la maison de Habsbourg est la victoire, d’une politique étrangère sur la politique nationale. Le jour où l’infortunée reine Jeanne est mariée au beau Philippe de Bourgogne, qui porte en dot la Flandre, la destinée de l’Espagne est changée pour l’avenir. Le jour où, après avoir ceint la couronne de Castille du vivant même de sa mère, Charles de Gand est élu empereur en 1519, le petit-fils des rois catholiques a disparu sous la pourpre du césar. L’Espagne, sans perdre son individualité nationale, qui survit à tout, cesse d’avoir la direction de sa politique ; elle n’est qu’un état de plus dans