Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/704

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ce personnage équivoque que Donatello lança dans l’éternité sur un regard significatif de ses beaux yeux, et en effet, s’il faut en juger par ce qu’elle nous raconte de ce personnage, il est probable qu’il n’en savait pas beaucoup plus long qu’elle. Le plaisir de faire le mal est grand pour certaines natures, et il n’est pas besoin de leur chercher souvent de motifs plus secrets et plus profonds que celui-là, lequel est déjà très suffisamment secret et profond, comme vous l’apprendront tous les moralistes et Hawthorne en particulier. Autre mystère. L’unique témoin du crime de Donatello était une jeune Américaine du nom d’Hilda. Chargée par Miriam de porter un paquet de lettres au vieux palais des Cenci, elle disparut pendant quelque temps sans qu’on pût jamais savoir ce qu’elle était devenue, et plus tard, lorsqu’elle fut de nouveau réunie à ses amis, elle refusa de révéler ce qui lui était arrivé. Ce roman est une vraie mascarade, comparable à celle du Corso, où tous les personnages se rencontrent pour la dernière fois et se parlent sous le masque. Nous ne pouvons même pas savoir si Miriam et Donatello sont unis ou séparés, et l’auteur n’a pas laissé à l’imagination du lecteur le plaisir qui lui est si doux, à la fin d’un roman, de soupçonner l’existence future de ses personnages.

Hawthorne a senti l’Italie et en parle affectueusement, malgré les inévitables préjugés de sa race et de sa religion. Quoique descendant des puritains, il a senti le charme profond de Rome, cette ville dont aiment à médire tous ceux qui l’ont visitée, mais dont, paraît-il, ils ne peuvent s’arracher dès qu’ils y ont habité quinze jours. « Lorsque nous avons quitté Rome de mauvaise humeur, furieux contre la population carnivore des lits de ses hôtels, contre sa mauvaise cuisine, ses rues mal pavées, son éclairage défectueux, etc., nous dit Hawthorne, nous sommes tout surpris de découvrir peu à peu que les fibres de notre cœur sont restées attachées à la ville éternelle et nous tirent de son côté, comme si cette ville était plus réellement y plus intimement, plus familièrement notre patrie que le lieu même où nous sommes nés. » C’est qu’en effet Rome est notre patrie suprême, la patrie où sont nées nos âmes, quel que soit le lieu de la terre où sont nés nos corps. De même que l’enfant n’a aucun souvenir de sa naissance, l’âme n’a aucun souvenir du lieu où elle a été engendrée ; mais lorsque les heureux hasards de la vie la mettent en présence de cette aïeule des villes européennes, un instinct inné lui fait reconnaître sa patrie. Cette ville est sa mère, il n’en peut douter ; il la reconnaît à cette grandeur familière et à cette austérité souriante que possèdent seuls les visages des mères, et qui, de l’aveu de tous les voyageurs, composent le charme souverain qui fait l’inéluctable attrait de Rome. Hawthorne nous le dit, nous nous sentons chez nous, dans la demeure maternelle ; nous n’avons pas de peine à