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avec l’instinct, dont l’âme est tout près des sens, et qui sont en rapport presque immédiat avec les forces élémentaires de la nature. Il faut pour modèles à la sculpture des êtres dociles et obéissans aux lois de la nature, ignorans du mal, et que n’ait jamais troublés la pensée du péché ; c’est dans ces modèles seulement que le sculpteur trouvera cette harmonie parfaite et ce repos du corps qui sont les conditions essentielles de son art. Or le modèle vivant n’a de repos qu’à la condition de n’être pas aiguillonné par l’âme, et d’ignorer qu’il est double, composé d’une âme et d’un corps. La sculpture n’exclut pas absolument l’idée de la vie morale, mais elle ne l’admet qu’inconsciente et rudimentaire, et elle exclut forcément l’idée de la vie morale fondée sur le rachat de l’âme par la douleur, c’est-à-dire sur la connaissance du mal. La sculpture est donc impossible dès que l’homme a acquis la beauté pensive.

Hawthorne a développé et montré en action cette vérité esthétique par une fable ingénieuse qui fait le lien de ses différentes dissertations sur l’art. L’atelier de Kenyon, sculpteur américain établi à Rome, était fréquenté assidûment par un jeune homme à peine échappé à l’adolescence, nommé Donatello, comte de Monte-Beni. Il ne se pouvait rien voir de plus aimable que ce jeune Italien, qui cependant n’avait reçu ni une grande beauté, ni de grands dons intellectuels, et dont l’éducation semblait à certains égards avoir été déplorablement négligée. Dès qu’il paraissait, l’atelier était en fête, tous les cœurs se dilataient d’aise, et la belle Miriam, une jeune Anglaise dont il était amoureux, trouvait pour l’agacer ses plaisanteries les plus amusantes. Son charme tenait à sa parfaite candeur et à la profonde sécurité morale dont l’entourait son ignorance du mal. Rien n’était venu détruire l’équilibre de son être ; ignorant la honte, il ignorait le respect humain, et il se livrait, au milieu de la société romaine, aux entraînemens de sa gaieté inoffensive sans plus de souci qu’un jeune lévrier dans les allées d’un parc ou qu’un jeune cerf à l’ombre de sa forêt native. C’était dans toute la vérité de l’expression un enfant de la nature, un jeune faune ou un jeune égipan antique, si bien qu’à force de le regarder ses amis de l’atelier avaient fini par lui trouver une certaine ressemblance avec le Faune de Praxitèle. « Approchez, jeune compagnon du dieu Pan, lui avait dit un jour Miriam, afin que nous sachions si vous avez les oreilles velues de vos frères et de vos cousins des forêts. « Or, circonstance singulière, Donatello avait les oreilles pointues et légèrement velues. Le sculpteur Kenyon avait plusieurs fois manifesté le désir de faire son buste ; mais avant qu’il eût pu accomplir ce désir, l’occasion avait fui. L’existence des faunes est courte de nos jours, même en Italie, leur patrie de prédilection, et ils ont bientôt perdu dans nos sociétés compliquées leur bonhomie et leur simplicité