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voir le plus de tableaux possible dans un temps trop limité. Une belle peinture suffit à elle seule pour remplir l’esprit et épuiser la provision d’admiration disponible en vous au moment où vous la contemplez. Et que penseriez-vous d’un homme qui dans la même heure s’amuserait à lire une scène de Shakspeare, un chant de lord Byron, un pamphlet de Swift, deux ou trois sonnets de Wordsworth et quelques pages d’un sermon de l’évêque Taylor, et qui déclarerait ensuite que la littérature est un capharnaüm qui lui met l’esprit en désordre ? » Ainsi parlerait un enfant de l’Europe, sans avoir besoin du génie et de l’esprit d’Hawthorne ; oui, sans doute, mais cet enfant a été élevé dans la familiarité des arts, il a passé sa jeunesse dans les musées, à l’ombre des palais, il a vu, senti, touché à toute heure, sous toutes les formes possibles les plus belles œuvres de l’art. Que M. Hawthorne ne se sente pas blessé par nos observations, car cette habitude qui créé la sûreté du goût n’implique en rien une intelligence profonde de l’art, pas plus que l’habileté à manier les instrumens de la Science moderne n’implique une intelligence profonde de la science. Si Roger Bacon ou Albert le Grand revenaient au monde, ils manieraient gauchement les instrumens de la science moderne, et prêteraient probablement à rire par leur maladresse au dernier préparateur des cours de chimie. Le séjour de M. Hawthorne en Europe n’a pas été assez long pour lui donner cette sûreté de goût que crée l’habitude, et voilà tout.

Les dissertations esthétiques du romancier américain portent moins sur la peinture que sur la sculpture, et ses remarques sur ce dernier art sont généralement fines et profondes. Il nous serait fort difficile de dire pourquoi il a mieux compris la sculpture que la peinture, car la nature de son talent semblait au contraire le prédestiner à mieux sentir l’art des couleurs que l’art des formes ; c’est là une de ces bizarreries qui se rencontrent si fréquemment dans le royaume de l’intelligence, et qui semblent l’œuvre d’un malin esprit de contradiction dont le plaisir est de déjouer le bon sens et la logique. Quoi qu’il en soit, il a très bien compris les principes sur lesquels repose l’art de la sculpture et très bien montré pour quelles raisons la sculpture était un art désormais impuissant et condamné. Traduisons les pensées qu’il a développées et mises en action tout le long de son récit. La sculpture, qui à première vue paraît le plus savant de tous les arts, en est au contraire le plus simple et le plus primitif. Loin de supposer une civilisation brillante et avancée, elle suppose une société où les hommes mènent la vie simple, élémentaire en quelque sorte des campagnards. L’idée de sculpture implique l’idée d’une sorte d’état paradisiaque, d’un Éden païen comme celui que les poètes de l’antiquité nous ont montré peuplé de nymphes et de faunes, c’est-à-dire d’êtres dont la conscience se confond encore