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tristesse à d’aussi larges doses, et le lecteur, après avoir absorbé un roman d’Hawthorne, peut être accusé d’une orgie de ce genre. Toutefois il n’est pas de curieux, pas de savant en chimie morale, pas de toxicologiste, spirituel épris de son art, qui refusât de boire quelques gouttes d’essence de larmes, si on les lui présentait. C’est là le mérite particulier des petits contes d’Hawthorne. Ce qu’il veut nous apprendre y est rapidement dit, et l’esprit n’a pas à redouter de perdre sa santé et sa joie à écouter trop longtemps, ses paroles de désenchantement. On avale au contraire l’amère leçon comme une médecine, et si le cœur n’en demande pas davantage, on pose le livre et on ne renouvelle la dose, qu’à ses heures. Cependant, quelle que soit la valeur des contes d’Hawthorne, je ne les recommande pas tous également ; il y faudrait faire un choix. La moitié seulement des Twice told tales (Contes deux fois dits) et du volume intitulé Snow image (Image de neige) vaut la peine d’être conservée, car dans ces contes le talent n’est pas arrivé à sa maturité : il s’essaie, tâtonne. La série de contes intitulée les Mousses du vieux Presbytère mérite au contraire de rester presque tout entière ; un rayon de véritable génie a touché quelques-unes de ces allégories : la Fille de Rappaccini, la Marque de naissance, le Jeune Goodman Brown, Egoïsme ou le Serpent du cœur, le Banquet de Noël, l’Artiste du beau, etc.

Le dernier roman d’Hawthorne, Transformation, or the Romance of Monte Béni, est comme toujours une allégorie du cœur, un drame psychologique déterminé par des circonstances extérieures qui ne jouent dans le livre qu’un rôle secondaire. Le lieu où se passe la scène est l’Italie, mais le choix du lieu est tout à fait arbitraire, et le drame aurait pu se passer tout aussi bien dans une autre région, car il est de tous les temps et de tous les pays. Je ne vois d’autre raison déterminante à ce choix que la résolution prise par l’auteur d’utiliser les notes de son voyage, le désir de communiquer à ses compatriotes les impressions, esthétiques qu’il a ressenties sur cette terre classique des arts. Hawthorne a voulu encadrer dans une bordure de fleurs italiennes une de ces sombres histoires qui lui sont familières, et peupler les paysages qu’il avait admirés d’une société de son choix. L’unité de l’œuvre et l’intérêt qu’elle devait inspirer ont souffert nécessairement de cette combinaison. Le roman est double en quelque sorte ; il contient un roman esthétique et un roman psychologique qui se nuisent mutuellement, et qui se disputent, comme deux rivaux, l’attention du lecteur. Il rentre dans la classe de ces livres hybrides, à prétentions contraires, dont Corinne est le prototype, et dans lesquels l’auteur dépense en pure perte, pour marier deux genres opposés, une somme de talent qui aurait été plus que suffisante pour écrire deux beaux livres appartenant à chacun