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personnalité. » Rien n’est plus exact. Cet amour morbide des cas de conscience, cette tournure d’esprit taciturne et méprisante, cette habitude de voir le péché partout et l’enfer toujours béant, ce regard sombre promené sur un monde damné et sur une nature vêtue de deuil, ces conversations solitaires de l’imagination avec la conscience, cette analyse impitoyable résultant d’un perpétuel examen de soi-même et des tortures d’un cœur fermé devant les hommes, toujours ouvert devant Dieu, tous ces traits de la nature puritaine ont passé dans M. Hawthorne, ou, pour mieux dire, ont filtré en lui à travers une longue série de générations. Si nous ne les reconnaissons pas tout d’abord, il ne faut pas s’en étonner, l’âme des Hawthorne s’est nécessairement modifiée avec chacun des avatars qu’elle a traversés, mais la substance est restée la même. À chaque génération, elle a perdu quelque chose : une fois l’ardeur religieuse, une autre fois l’âpreté politique, une autre fois encore la ferveur de la haine. Tout ce qui était de la grâce a disparu, tout ce qui était de la nature est resté. Les visions qui hantent l’esprit d’Hawthorne sont les mêmes que ses ancêtres ont connues ; seulement les fantômes ont suivi les modes du temps et renouvelé leur garde-robe sinistre. Jadis ils avaient un suaire chrétien, maintenant ils ont des toges philosophiques. Les ancêtres de Hawthorne savaient d’où sortaient ces visions, car ils savaient qu’ils étaient assiégés par deux puissances ennemies, Satan et le Christ, qui se disputaient leurs cœurs comme une forteresse ; ils étaient habiles à distinguer les visions qui venaient du ciel et celles qui venaient de l’enfer. Les visions de Hawthorne ne viennent au contraire ni du ciel ni de l’enfer ; ces deux mots ont perdu pour lui toute signification : le ciel est remplacé par la chambre noire de l’imagination et l’enfer par la caverne du cœur. Ses livres sont donc le résultat extrême d’une vieille civilisation, ou, si vous aimez mieux, le résidu chimique de substances autrefois pures et salubres, corrompues dans le cours des siècles par de trop fréquentes et trop imprudentes combinaisons, par l’association délétère de certains élémens qui leur étaient hostiles. Dans ces petites urnes littéraires sont contenues la cendre et la terre du puritanisme. La vie divine qui animait le puritanisme a disparu, et nous en touchons la substance terrestre en dissolution.

Le rayon divin étant éteint, c’est pour ainsi dire dans la nuit, à tâtons et par la seule faculté du toucher, qu’il nous est permis de retrouver chez Hawthorne les traits de la physionomie puritaine ; mais quiconque a vu à l’œuvre dans la littérature et dans l’histoire le génie puritain reconnaîtra sans peine ses habitudes de pensée et même ses méthodes d’action : par exemple cette franchise à la fois brutale et loyale qui ne fait aucun effort pour dissimuler les sentimens intérieurs, pour aplanir les rides d’un front trop soucieux et