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avaient déterminé des cas d’hydrophobie. Voici la clémence. Mon Dieu ! qu’elle est faible ! elle n’a que le souffle, et sans doute elle aura expiré avant d’avoir eu le temps de prononcer les paroles de pardon qui furent autrefois familières à ses lèvres. La résignation est assise dans un coin ; elle est très résignée en effet ; elle ne pense plus ; rien ne peut l’émouvoir, elle a perdu le souvenir du bien et du mal passés et la conscience du bien et du mal présens. Voilà sous quelles images de décrépitude les grands sentimens se présentent chez Hawthorne. Quant à la lumière sous laquelle ils se meuvent, c’est une lumière froide et menteuse qui montre les objets sans les échauffer, qui dessine les formes et éteint les couleurs, lumière sans rayonnement comme celle de la lune, qui, dit-on, est un astre mort, et à la clarté de laquelle se plaisent les fantômes de l’intelligence et de l’imagination. Cette lumière, vous la connaissez ; appelez-la du nom qu’il vous plaira, philanthropie sans charité, idéalisme sans certitude, utopie sans confiance, mysticisme sans amour, devises flatteuses ingénieusement inventées pour dissimuler le vide de l’âme, jolies épitaphes qu’on aime à poser sur la tombe de la foi pour diminuer ainsi l’horreur de la catastrophe qui nous a frappés.

Ce vague idéalisme, cet incertain mysticisme, cette philanthropie démocratique, sont impuissans à remplacer l’amour dans les écrits d’Hawthorne. Jamais les vœux qu’il fait pour le bonheur et le perfectionnement de ses semblables ne s’envoleront de terre, car il leur manqua la chaleur et les ailes. L’être des êtres, de quelque nom qu’on l’appelle, ne les entendra pas, car ces vœux ne contiennent ni une prière ni une malédiction passionnée. Les vœux d’Hawthorne pour le bonheur de ses semblables font presque l’effet d’une politesse obligée envers le genre humain. Dénués d’amour, ses écrits sont également dénués de haine. La misanthropie d’Hawthorne n’est à aucun degré agressive et belliqueuse ; on sent qu’elle n’est pas chez lui un mouvement de l’âme, mais un état moral habituel auquel elle a fini par prendre goût, comme les pieux bouddhistes prennent goût au nirvana. Il n’éclate pas, il n’a pas d’emportemens ni de colères, et cependant on préférerait de bon cœur les injures les plus violentes à ces paroles de tranquille politesse qu’il chuchote à votre oreille et pour vous seul. Il prend un air mystérieux pour vous dire ce que les autres hommes disent tout haut et avec indifférence, et en vérité on le remercie de sa réserve, car nul ne serait bien aise qu’on entendît les complimens qu’il vous fait tout bas. Ses formules de politesse sont si originales, et il a une manière si exceptionnelle de vous demander des nouvelles de votre santé, de vos études et des êtres qui vous sont chers, qu’on lui sait gré d’être discret. Par exemple, il vous demandera comment se porte le serpent que vous avez dans le cœur ; engraisse-t-il et fait-il des