Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/678

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

raire abonde en exemples de poètes et d’écrivains moroses, mélancoliques, désespérés, violens et même haineux, qui s’emparent invinciblement de la sympathie du lecteur, bien plus, qui échauffent, élèvent son cœur, et remplissent son âme d’enthousiasme : un Byron, un Shelley, un Rousseau. Ils n’ont que des paroles de tristesse ou de rancune, et cependant nos oreilles boivent ces paroles avec avidité, et, phénomène étrange, il arrive parfois qu’après les avoir écoutés, loin de nous sentir assombris et malades, nous nous sentons capables des plus nobles mouvemens et des aspirations les plus généreuses. Dans leur désespoir, nous puisons la force du courage, et dans leur haine la force de l’amour. Savez-vous pourquoi ? C’est que leur désespoir et leurs amertumes sont passionnés, et que rien n’est irrémédiable tant que la passion existe et soutient l’âme, c’est que nous sentons que leurs querelles avec l’humanité ne sont que des querelles d’amant, et que, pour vifs que soient les reproches, ils ne sont pas le prélude ni la signification d’une rupture. De grands moralistes et de grands saints se sont plu à leur tour à humilier la nature humaine, à étaler sous nos yeux le squelette que nous deviendrons un jour, à nous déclarer que nous n’étions que pourriture et cendre, et cependant leurs paroles ne laissent en nous aucun abattement, et nous les accueillons comme des promesses de résurrection et de vie spirituelle. Avec Hawthorne, nous n’avons aucune de ces compensations : il n’y a chez lui rien qui grandisse le cœur, qui inspire l’enthousiasme et l’espérance. Il nous afflige et ne sait pas nous consoler, il nous alarme et ne daigne pas nous rassurer. Il est cruel froidement et à son insu, comme le médecin qui condamnerait son patient et lui déclarerait à la face qu’il n’a pas chance de guérir. Nos misères nous apparaissent comme irrévocables ; notre âme nous apparaît comme le lieu d’élection du péché. Le seul remède, c’est la mort, la mort sans rêves et sans lendemain. D’autres moralistes ont cru sans doute être bien amers en comparant nos vices à des scorpions et à des vipères ; mais qu’est-ce que leur amertume éloquente et enragée auprès de l’amertume du pacifique Hawthorne, qui, d’un air tranquille et un sourire glacé sur les lèvres, vient nous dire que nos vertus sont de gentilles couleuvres qu’il serait dangereux de croire inoffensives, car dans leur longue fréquentation avec les autres reptiles qui peuplent la caverne du cœur, elles ont sans doute ramassé trop de poison pour qu’il ne soit pas dangereux de les toucher sans précaution ? C’est donc en vain que nous croyons à la puissance du bien : la lutte contre le mal est chimérique, insensée et inutile ; c’est un acte de donquichottisme, un passe-temps qui peut tenter des enfans, mais devant lequel le sage sourit et auquel il ne s’arrête pas. Dans une de ses petites nouvelles, Earth’s Holocaust, il a exprimé sous une forme railleuse l’impuissance