Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/668

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

suite duquel s’opère une nouvelle création. Les manwantaras sont séparés par des cataclysmes ou des embrasemens. Chez les Perses, les Étrusques, les Scandinaves, on retrouve aussi la théorie des âges, et elle apparaît dès les premiers temps de la Grèce, ainsi qu’en fait foi un des poèmes d’Hésiode. L’école stoïcienne l’avait adoptée comme base de sa cosmologie. Selon les philosophes du Portique, qui ne faisaient peut-être que reproduire les idées présentées dans le Timée de Platon, le genre humain a subi et subira encore plusieurs destructions successives par l’eau et par le feu. Les cataclysmes anéantissent l’espèce humaine, ainsi que toutes les productions animales et végétales ; les conflagrations amènent la dissolution du globe même.

Sans donner à sa théorie cette forme à la fois religieuse et systématique, M. Adhémar présente de même les créatures comme destinées à disparaître périodiquement par l’irruption des océans. Quoiqu’il ramène les choses à un phénomène normal et nécessaire, il n’a pu cependant empêcher certains esprits d’y reconnaître les vieilles spéculations de la philosophie antique et de chercher dans son livre la confirmation de leurs espérances et de leurs craintes. Le prochain déluge qu’il annonce a été regardé comme la fin du monde prédite depuis plus de dix-huit siècles. On a rapproché quelques-unes de ses paroles de passages de l’Évangile, sans faire attention que les épîtres de saint Pierre disent positivement que la terre est destinée à périr par le feu. Le tableau que tracent les évangélistes de la fin des temps se rapporte évidemment en partie à la ruine de Jérusalem par les Romains, ruine que les premiers chrétiens regardaient comme un présage de la prochaine fin du monde. Les néophytes peignaient, ainsi que le fit saint Jean dans l’Apocalypse, sous les couleurs d’une catastrophe terrible la destruction de l’ancien état politique, tandis que plusieurs se représentaient réellement cette destruction comme inséparable de la rénovation du monde physique. Il n’y a rien à tirer de l’Écriture pour justifier une théorie dont la nature est purement scientifique. M. Adhémar ne vient pas nous effrayer, mais nous instruire ; il interroge seulement des souvenirs entourés de merveilleux en vue d’éclairer ce qui s’est passé réellement. Sa doctrine appelle l’attention, et il est heureux qu’elle se soit produite.

Si elle n’a rien de fondé, les faits l’auront promptement renversée ; si au contraire la marche des événemens la confirme, elle deviendra un grand et salutaire enseignement, en même temps qu’elle sera une sinistre prophétie. Sera-t-il en effet possible d’échapper à la fatale catastrophe ? Les hommes en seront-ils réduits à construire des arches, et devront-ils y loger tous les animaux qu’ils