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des géologistes. La direction suivant laquelle les terrains de transport ont été charriés permettrait de reconnaître à quelle période il faut en rapporter le dépôt. Au moment où se produisit l’avant-dernier cataclysme, notre hémisphère était chargé d’une calotte de glace qui du pôle s’étendait jusqu’au-delà du 70e degré ; la presque totalité de nos continens devait être submergée ; dans l’hémisphère austral au contraire, les continens étaient à sec. Durant plusieurs milliers d’années avant et après l’époque où la glacière arctique atteignait son maximum, le mouvement des eaux a dû être insensible, et cet état tranquille a laissé se former les couches de sédimens produites pendant le dernier séjour de la mer au-dessus de nos continens. Dès que la somme des heures de nuit de notre hémisphère est venue à décroître, il en est résulté une diminution de froid ; les limites de la glacière boréale se sont resserrées, tandis que celles de la calotte australe ont pris de l’extension. Par ce double effet, le centre de gravité placé d’abord sur le rayon qui aboutit au pôle arctique s’est rapproché du centre de la terre, et la masse fluide a dû commencer à prendre un mouvement de translation plus rapide. Ce mouvement s’est sans doute manifesté d’abord par des courans sous-marins dirigés du nord au sud. De là les dépôts de sables et de cailloux roulés qui couvrent un grand nombre de points de notre hémisphère. Lorsque l’augmentation de chaleur eut suffisamment ramolli les glaces du pôle nord, la débâcle se produisit ; le centre de gravité se déplaçant brusquement, l’équilibre des mers fut rompu, et la masse des eaux passant avec violence au-dessus des continens engendra le déluge dont la tradition nous a transmis le souvenir.

Ainsi dans cette théorie, l’irruption des eaux jouant le rôle principal, il n’est pas nécessaire de supposer de grands changemens dans le relief terrestre ; l’Océan a dû périodiquement recouvrir dans notre hémisphère les mêmes contrées basses, sauf quelques modifications relatives à la configuration des rivages, quelques affaissemens ou exhaussemens locaux. Mais pourquoi, se demandera-t-on, les terrains n’offrent-ils pas dans les couches successives plus d’uniformité ? Pourquoi, s’il s’est simplement opéré des dépôts à la suite de l’irruption des mers, tous les dix mille cinq cents ans, l’étendue et la puissance de ces couches qu’on devrait trouver plus régulièrement superposées s’offrent-elles avec tant de diversité ? Pour se rendre compte de la variété des roches, il faut nécessairement avoir recours à des actions ignées très énergiques, et l’on ne saurait faire dater le phénomène en quelque sorte régulier des déluges que du moment où notre globe présentait déjà un relief analogue à celui qu’il possède aujourd’hui. Antérieurement l’écorce terrestre s’était, pour ainsi dire, bosselée et ridée sur une grande échelle.