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de ses vengeances, ces trois types si fréquens de nos jours, sans parler des variétés qui s’y rattachent, ont dû nécessairement provoquer des répliques joviales ou des représailles amères. Aux familiarités de mauvais goût on a répondu par des bouffonneries d’atelier. Ceux qui étalaient si complaisamment leurs personnes en ont fait pour le spectateur un objet de discussions indiscrètes. Et comment les méchancetés à longue échéance combinées par les orgueilleux n’auraient-elles pas servi d’exemple et d’encouragement aux méchancetés de certains amuseurs publics ? Gœthe, en 1795, à propos des misères intellectuelles de son pays, a écrit des pages très vives sur le sans-culottisme littéraire, je ne viens pas ajouter un chapitre à ce manifeste, je veux seulement rappeler qu’en littérature comme en politique l’apparition des sans-culottes atteste des troubles graves dans la société tout entière, et que les classes d’en haut sont le plus souvent responsables des désordres d’en bas.

Ces réflexions se pressaient dans mon esprit pendant que je feuilletais un recueil de lettres posthumes dont toute l’Allemagne s’est émue. Encore un scandale ! me disais-je, encore une excitation à la curiosité sournoise et à l’indiscrétion tracassière ! Un grand nom, l’un des plus grands de ce siècle, pourra être invoqué en exemple par les plus petits esprits et les derniers des pauvres diables. Ils auront tort, je le sais bien, car le personnage éminent dont je veux parler n’est pas responsable de la faute qu’on lui fait commettre aujourd’hui. Il est mort, et, quoi qu’on puisse dire, je nie qu’un tel homme eût consenti à la publication d’un pareil livre ; mais enfin, qu’il soit coupable ou non, c’est toujours lui qui parle, et quand la première émotion sera passée, ce n’est pas de l’indiscret éditeur, c’est de lui seulement qu’on se souviendra. L’usage même qu’on fait de son nom, le jeu qu’on se permet avec ses plus intimes paroles, est-ce là un précédent salutaire ? Bien des vanités blessées ont poussé des cris quand cette correspondance a paru. Pour nous, étranger à ces questions de personnes, nous restons fort insensible aux plaintes et aux réclamations dont l’Allemagne a retenti ; ce qui nous préoccupe avant tout dans ce singulier épisode, c’est la dignité des mœurs littéraires, déjà tant compromise de nos jours, chez les peuples germaniques non moins que chez les nations romanes ; c’est aussi le respect de l’illustre écrivain auquel une main amie vient de porter atteinte avec une si naïve imprudence.

De quoi s’agit-il, va-t-on me dire, et pourquoi des paroles aussi sévères ? Le scandale que vous signalez a donc été bien grand ? — Le scandale, puisque scandale il y a, tient surtout à la qualité de la personne en cause. Or la personne ici est considérable, et elle remplissait des fonctions de la nature la plus délicate. Il s’agit de