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Je fus littéralement ébloui. Une large échancrure venait de s’ouvrir dans l’enceinte, et j’embrassais d’un coup d’œil, grâce à l’admirable transparence de l’air, une vallée circulaire de trente ou quarante lieues de diamètre, inondée de lumière, marquetée de cultures, semée de villes et d’haciendas, fermée au sud par une barrière de montagnes et à l’ouest par une ceinture de mer à reflets d’argent. C’était la jeune république de Costa-Rica qui se révélait, sinon tout entière, du moins dans sa partie populeuse et active. Ce plateau légèrement creusé contenait les quatre villes principales : San-José, Cartago, Alajuela et Heredia, et cent villages. Une ramification des Cordillères séparait au midi la république d’immenses régions qui font partie de son domaine, mais ne sont habitées que par des tribus indiennes. Et cette mer lointaine, où le guide m’indiquait Punta-Arenas, c’était l’Océan-Pacifique, le Grand-Océan, le théâtre futur des plus glorieuses conquêtes de la civilisation. À une distance d’au moins vingt-cinq lieues à vol d’oiseau, je distinguais aussi nettement le beau golfe de Nicoya qu’on distingue le dôme miroitant des Invalides, un jour de soleil, des hauteurs de Saint-Cloud, et je regrettais de ne pouvoir escalader l’un des deux volcans qui se dressaient à ma droite et à ma gauche, le Barba et los Votos, dont les cônes blindés de forêts éternelles jugées inaccessibles eussent été de merveilleux belvédères.

Ce spectacle inattendu, cet Océan, ces Cordillères, ce berceau d’un peuple modèle, ces grands noms et ces grandes choses, m’avaient jeté dans une profonde rêverie. J’en fus tiré à un coude du chemin par un bruit confus de voix étrangères. Plusieurs femmes sorties d’une maison voisine expliquaient à mon avant-garde que deux officiers supérieurs, envoyés à ma rencontre par le président, m’attendaient à l’hacienda voisine d’un membre du congrès. Je fus abordé en effet, cinq cents pas plus loin, par une nouvelle escorte, dont le chef, le colonel don Pedro Barillier, ancien capitaine de zouaves au service de Costa-Rica, me remit une lettre du ministre des affaires extérieures. Il était accompagné d’un jeune homme de bonne mine, le fils du vice-président de la république, M. Escalante. Tous deux portaient un élégant costume militaire ressemblant beaucoup à celui de nos officiers supérieurs d’état-major. Le colonel Barillier m’offrit son cheval, en monta un autre qu’il avait amené, et nous commençâmes à descendre la montagne, par une route large et poudreuse, un peu plus vite que je ne l’avais fait jusqu’alors.

Nous laissâmes bientôt derrière nous les grands bois dont les ombrages ne m’avaient pas quitté depuis San-Juan-del-Norte, pour entrer dans un pays ouvert, trop ouvert même à mon gré, où chaque conquête du travail s’annonçait par un abatis de troncs noircis par le feu. À cette limite incertaine commençait la zone des cultures et