Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/614

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Rhin, peu fastueux, peu communicatifs, émigrans de Hambourg jetés par la fortune sur une plage qu’ils connaissaient à peine de nom. L’un de ces philosophes errans, né à Zurich, avait gagné un peu d’argent dans la Louisiane, en abattant des arbres précieux pour l’exportation. Puis un beau jour il avait lu dans les journaux des États-Unis que le général William Walker, devenu président du Nicaragua par une élection régulière, offrait deux cent cinquante acres de terre à tous ceux qui viendraient s’établir comme colons sur son territoire. Il s’était embarqué pour Grenade ; mais, une fois arrivé, on lui avait mis un fusil en main, et il avait fallu, de gré ou de force, défendre pendant dix-neuf jours la capitale du Nicaragua contre les alliés réunis pour la reprendre. Alors s’était passée sous ses yeux cette affreuse destruction d’une ville entière par les ordres de l’envahisseur forcé de l’abandonner. Walker n’avait pas plus épargné les propriétés de ses amis que celles de ses ennemis. La maison même du père Vijil, son ambassadeur à Washington et son plus ardent admirateur, avait été livrée aux flammes. Les églises, les monumens publics, tous les souvenirs précieux que respecte la guerre avaient subi le même sort, et de cette cité de vingt mille âmes qui passait pour l’honneur du Nicaragua, et que ses habitans avaient été forcés de fuir à la hâte, il n’était resté, au bout de quelques heures, qu’un monceau de cendres et de ruines. — J’ai compris alors, me disait le Zurichois, que ce chef si populaire chez les Américains n’était qu’un bandit impitoyable. Je l’avais vu ordonner froidement l’exécution d’une trentaine de ses hommes sans conseil de guerre et sans jugement, par cela seul qu’ils étaient soupçonnés de vouloir déserter. Je savais d’ailleurs, depuis que j’étais dans le pays, qu’il s’était nommé lui-même président de la république. Aucun habitant n’avait pris part à cette prétendue élection. Les soldats mêmes de son armée n’avaient pas été consultés. Le Nicaragua tout entier s’était soulevé contre Walker depuis qu’on avait vu ses partisans faire leur unique tâche de la destruction et de l’assassinat. La ville de Léon elle-même, qui lui était d’abord très dévouée, avait fait cause commune avec Grenade après le meurtre du général Salazar. Nous avions certainement plus de courage personnel que les soldats de l’armée nationale, mais nous faisions un métier qui ne nous convenait pas. Nous étions venus chercher des terres et non des armes. Walker ne voulait point en donner ; j’ai déserté, au risque d’être fusillé, et je suis venu sans m’arrêter jusqu’ici, où les Costa-Ricains non-seulement ne m’ont pas fait de mal, mais m’ont donné les terres que je cherchais.

— Et combien vous coûtent ces terres ?

— Oh ! presque rien : une piastre par cent mètres carrés. Encore ai-je six ans de délai pour les payer.