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plus courageuses s’y obstinent ; elles font des journées de douze heures tout en suffisant à leur tâche ; le grand nombre se désespère, travaille rarement et languissamment. Arrivées à ce point, elles tournent leurs espérances du côté de la mendicité, et c’est un penchant que développent chez elles une foule d’institutions charitables qui méritent des éloges pour le bien qu’elles veulent faire, mais qui, avec des intentions excellentes, ne font trop souvent que du mal.

Il y a sans doute des compensations au triste tableau que nous venons de dérouler. À côté des parties gangrenées, il y en a de saines et de vigoureuses. Nous n’avons montré que le mal. Quand nous chercherons le remède, nous constaterons avec une joie profonde qu’il y a en grand nombre, dans nos principaux centres manufacturiers, des ouvriers à la fois habiles et économes, intelligens et réservés, sûrs d’eux-mêmes, inaccessibles au découragement et à l’envie. Nous montrerons avec quelle généreuse et loyale ardeur beaucoup de nos chefs d’industrie aident leurs ouvriers à conquérir le premier, le plus doux, le plus nécessaire de tous les biens, l’indépendance. Ne nous faisons pas cependant de lâches illusions. Le très grand nombre des travailleurs souffre de privations qu’on ne peut connaître, qu’on ne peut même imaginer quand on n’a pas vu les choses de ses propres yeux. Nos descriptions ne sont jamais ni assez fidèles ni assez complètes. On est retenu par mille considérations : on craint de blesser ceux qui souffrent, on ne veut pas les irriter. Notre société a beau être généreuse et libérale, elle n’aime pas qu’on lui montre ses plaies. Il faut pourtant qu’elle apprenne à connaître la pire de toutes les misères, celle qui subsiste malgré le travail. Elle a le devoir de la connaître, puisqu’elle est strictement tenue d’employer toutes ses forces et tout son cœur à la guérir.

Oui, alors même que les ateliers marchent et que les patrons paient de bons salaires, plus de la moitié des femmes d’ouvriers sont dans la gêne ; elles n’ont ni pain ni vêtement pour leurs enfans ; elles sont logées dans des chambres plus étroites et plus nues que les cachots ; si un de leurs enfans tombe malade, elles ne peuvent ni lui acheter des médicamens, ni lui donner un lit, ni lui faire un peu de feu. Les médecins des pauvres avouent que dans la moitié des maladies le meilleur remède serait une bonne alimentation, mais ils ne peuvent pas le dire à la famille des malades ; ils ne l’osent pas. Voilà quel est l’état de la moitié de nos villes manufacturières en pleine paix, en pleine prospérité de l’industrie. Retournez dans ces ruelles infectes quand la crise a sévi, et vous ne les reconnaîtrez plus ; vous n’y rencontrerez plus que des spectres. Vous verrez une transformation qui vous fera horreur, car, s’il y a quelque chose de plus affreux que le