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mort, et la preuve, c’est qu’on a fait une loi en Angleterre qui en un an a réduit la mortalité dans les logemens d’ouvriers à 7 sur 1,000, tandis qu’elle était de 22 sur 1,000 pour la capitale entière, de 40 sur 1,000 pour la paroisse de Kensington[1]. M. Villermé raconte que toutes les villes de fabrique souffraient du chômage du lundi ; la place de Sedan seule réussit à l’abolir. Cependant les ouvriers étaient les mêmes à Mulhouse, à Saint-Quentin, à Sedan ; mais à Sedan les maîtres avaient su vouloir dans une cause juste. De même, pour la bonne condition de l’ouvrier dans l’intérieur de la fabrique, il suffit que le maître veuille ; avec le temps, il est certain de réussir.

Cependant il est une autre volonté qui importe plus au bien-être de l’ouvrier que celle du patron, et c’est la volonté de l’ouvrier lui-même. Il suffit, pour s’en convaincre, de jeter les yeux sur la feuille des salaires dans une fabrique. Un ouvrier attentif, habile, fait nécessairement en un temps donné bien plus d’ouvrage qu’un travailleur ordinaire. Cette simple observation a de l’importance, parce qu’elle peut devenir un argument contre les journées trop prolongées ; il est toujours avantageux pour l’industrie de produire beaucoup en peu de temps, à cause du prix considérable des forces motrices, voici des chiffres relevés sur les livres d’un tissage mécanique à Saint-Quentin. Un ouvrier tisseur, en douze jours, avait gagné 54 fr. 70 cent. ; un autre, pour le même temps, dans les mêmes conditions de santé et de travail, 25 francs. Le mari et la femme, conduisant ensemble six métiers mécaniques, avaient gagné 84 fr. en douze jours ; un père de famille, avec son fils âgé de quatorze ans et sa fille âgée de seize ans, avaient gagné en douze, jours 87 fr. 50 cent. ; le salaire de la fille était le plus élevé, il montait à 33 fr. 95 cent. La plupart de ses compagnes, en donnant le même temps à l’atelier, arrivaient difficilement à 18 francs. Il est juste de reconnaître qu’il y a, dans un même atelier, des genres d’ouvrages plus avantageux les uns que les autres ; mais cette circonstance ne saurait en aucun cas motiver des écarts aussi considérables. Des différences analogues ont été constatées dans un grand nombre d’ateliers, à Mulhouse et à Reims. Il ne faut pas les attribuer à la supériorité de la vigueur physique chez les ouvriers les mieux payés, puisque les femmes gagnent autant que les hommes ; non, c’est la force de la volonté, plus que toute autre cause, qui fait le bon ouvrier.

On peut faire des observations analogues de peuple à peuple. En général, l’ouvrier anglais est plus fort que l’ouvrier français, peut-être parce qu’il est mieux nourri ; en revanche, l’ouvrier français est plus ingénieux et plus adroit. La supériorité de force peut donner

  1. Common lodging-houses act, 1851.