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Wild était un homme d’une taille moyenne et bien proportionnée, d’une physionomie expressive et intelligente. Sa voix était un franc ténor d’une étendue de deux octaves, du sol au-dessous de la portée au la supérieur. Dépourvue de flexibilité naturelle, mais d’un timbre chaud et métallique, la voix de Wild avait acquis par le travail et les conseils que lui donna Rossini à Paris quelques notes super-laryngiennes, dites notes de fausset, qui permirent à l’artiste de s’étendre jusqu’à l’ut supérieur. Jamais cependant ce ténor d’outre-Rhin, dont l’éducation purement vocale avait été très négligée, comme celle de presque tous les chanteurs de son pays, n’aurait pu réussir ni dans la musique fleurie de l’école italienne, ni dans le style tempéré et divin qui caractérise les opéras de Mozart. Wild était avant tout un chanteur dramatique dans le sens un peu restreint qu’on attache de nos jours à ce mot, c’est-à-dire qu’il brillait dans les rôles qui exigent de la vigueur et plus d’éclat de voix que de délicatesse de sentiment. Il avoue lui-même qu’il a fort peu vocalisé dans sa jeunesse, et qu’au sortir de la mue, qui s’est faite très promptement, il a abordé le théâtre et s’est mis à jouer et à chanter d’instinct les rôles qui ont plus tard assuré sa réputation, tels que celui de don Juan, de Licinius dans la Vestale, de Florestan dans Fidelio, etc. Successivement Wild a ajouté à son répertoire presque toutes les parties de ténor des opéras français qui se jouaient sur tous les théâtres de l’Allemagne, Richard Cœur-de-Lion de Grétry, Joseph de Méhul, Jean de Paris de Boïeldieu, Joconde et Cendrillon de Nicolo, Zampa d’Hérold, où il semble que Wild a été fort remarquable. Ajoutez à ces ouvrages de l’école française les chefs-d’œuvre de Gluck, ceux de Weber, Jessunda de Spohr, et quelques opéras moins importans des imitateurs de l’auteur du Freyschütz : on aura une idée de la variété de rôles et de styles auxquels doivent se prêter la mémoire et l’intelligence d’un chanteur allemand.

Dès le commencement du XVIIIe siècle, alors que Keyser, Handel, Mattheson et quelques autres compositeurs moins célèbres s’essayèrent dans la ville de Hambourg à créer avant l’heure un opéra national qui ne devait naître que cent ans plus tard, les chanteurs de ce grand pays de la musique chorale et instrumentale n’étaient que de mauvais imitateurs des célèbres virtuoses de l’Italie qu’on admirait dans les cours princières, telles que Dresde, Munich, Vienne, Stuttgart et Berlin. Un maître habile, le vieux Hiller, qui avait entendu dans sa jeunesse à Dresde un grand nombre de chanteurs italiens, comme Carestini, Salinbeni, Martinelli et la célèbre Faustina, élève de Marcello et femme de Hasse, fonda à Leipzig, vers 1760, une école de chant d’où est sortie la Marra, qui a émerveillé l’Europe pendant la seconde moitié du XVIIIe siècle, Goethe, aimait à se rappeler que dans sa jeunesse, pendant qu’il étudiait à l’université de Leipzig, il avait eu le plaisir d’entendre chanter à la Marra, dans une visite qu’il fit au vieux Hiller, deux airs d’un opéra de Hasse, Hélène : Sul terren piagata a morte et Par che di giubilo. La Marra, la Mingotti, élève de Porpora, et de nos jours Mme  Sontag sont les trois cantatrices allemandes les plus célèbres qui aient réussi à s’approprier le style et la manière de l’école italienne. Les chanteurs pour qui Mozart a écrit ses principaux chefs-d’œuvre, comme Don Juan, le Nozze di Figaro, Idomeneo, Cosi fan tutte, la Clemenza di Tito, étaient presque tous