Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/513

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de Hummel, qui se trouvait alors à Paris, il résolut de retourner dans son pays. Wild ne rapporta de son séjour dans la capitale de la France que le plaisir d’avoir fait la connaissance de Rossini, et celui d’entendre Donzelli dans Otello, qui devait être plus tard l’un de ses meilleurs rôles.

De retour en Allemagne, Wild, après avoir chanté successivement à Strasbourg et à Carlsruhe, où il s’essaya pour la première fois dans le rôle d’Otello, qu’il venait d’entendre si bien interprété par Donzelli, fut engagé pour plusieurs années au théâtre de Cassel, en septembre 1825. C’est là que Wild fit la connaissance de Spohr, homme considérable, compositeur d’un vrai mérite, mais dont le goût exclusif et tout allemand n’admettait d’autre expression du génie musical que celle qui provenait du pays de Beethoven et de Mozart. Maître de chapelle et directeur de la musique du grand-duc de Hesse-Cassel, Spohr repoussait du répertoire tous les opéras qui n’étaient pas composés par des musiciens allemands. Cet aveugle patriotisme d’un maître fort estimé a porté malheur à ses propres productions, qui pèchent précisément par le manque de variété et de grâce. Parvenu presque au premier rang des compositeurs dramatiques de son pays, Spohr a été subitement détrôné par l’avènement de Weber, comme le compositeur italien Paër l’a été par l’apparition de Rossini.

Pendant un congé que Wild prit en 1826, il se rendit à Berlin, où il renouvela connaissance avec Spontini, qui occupait la place importante de directeur-général de la musique du roi de Prusse. « Je n’ai pas rencontré dans ma vie, dit Wild, un chef d’orchestre plus imposant et plus obéi que Spontini. » Lorsque ce maître jaloux, susceptible et très irritable apprit que Wild voulait commencer la série de ses représentations par le rôle de Max du Freyschütz : « Mon cher Wild, lui dit-il, vous êtes fait pour chanter de grands ouvrages et non pas de petites cochonneries comme le Freyschütz. » Les mots soulignés sont extraits textuellement du récit de Wild. Voilà l’opinion de Spontini sur le chef-d’œuvre dramatique de la nouvelle école allemande, qui avait considérablement affaibli l’importance de l’auteur illustre de la Vestale et de Fernand Cortez ! N’est-ce pas de la même manière que Weber a jugé Beethoven et que Beethoven a jugé Weber, qu’Haydn a apprécié Beethoven comme Michel-Ange a parlé de Raphaël ? Si la critique n’existait pas pour faire la police et établir la justice entre ces demi-dieux de l’art qui restent enfermés jalousement dans les limites de leur propre génie, ils s’égorgeraient entre eux.

Après un séjour de cinq années à la cour de Cassel, Wild, malgré les instances que lui fit le grand-duc pour renouveler son engagement, retourna à Vienne. En 1839, il fit un voyage à Saint-Pétersbourg ; puis il se rendit à Londres, où se trouvait une compagnie de chanteurs allemands, sous la direction d’un certain Schumann. Il s’y fit particulièrement remarquer dans la Jessunda de Spohr. De retour en Allemagne, Wild visita de nouveau plusieurs villes importantes, telles que Berlin, Strelitz dans le duché de Mecklembourg, Pesth en Hongrie, Zurich en Suisse, et il alla terminer sa carrière dramatique à Vienne, où il a chanté pour la dernière fois, en 1845, le rôle d’Abayaldos de Dom Sébastien de Donizetti. Wild est mort dans cette ville le {{1er janvier 1860, âgé de soixante-huit ans.