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sagesse que nous lui demandons dans le présent. La politique du Piémont est loin d’être glorieuse depuis six mois ; le second ministère de M. de Cavour est loin de justifier les espérances qui avaient accueilli le retour au pouvoir de cet homme d’état. Le soin de sa réputation, l’intérêt de son crédit en Europe devraient engager M. de Cavour à ne point pousser les choses à l’extrême du côté de Naples. Ceux qui estimaient l’initiative intelligente et courageuse dont le ministre piémontais a fait preuve tant de fois ont peine à comprendre sa politique actuelle. M. de Cavour a laissé passer la session du parlement de Turin sans y avoir organisé un parti véritable de gouvernement, et même sans paraître l’avoir essayé. Les difficultés qui l’entourent sont grandes, nous ne le nions point, et nous-mêmes nous n’avons pas dissimulé la gravité des embarras que lui a créés la cession de la Savoie et de Nice. En dehors de ce parlement nouveau ; où il a dédaigné de former un parti de gouvernement, il avait à commencer l’assimilation des provinces récemment annexées. Il ne semble pas que les tentatives accomplies de ce côté aient été heureuses. Les personnes qui reviennent d’Italie rapportent que le Piémont réussit mal dans l’administration des nouvelles provinces, et notamment de la Toscane. On dirait, pour parler sur le ton d’une plaisanterie quasi officielle dont le gouvernement piémontais était l’objet récemment, que la Sardaigne a grand’peine à digérer le fort repas d’annexions qu’elle a fait si allègrement à la fin de l’année dernière. Les collaborateurs appliqués, expérimentés, efficaces, manquent à M. de Cavour. Le ministre piémontais ne semble plus avoir d’autre politique que celle du laisser-aller ; il ne contient ni ne dirige l’esprit public, il ne s’associe pas ouvertement à ses manifestations ; il suit de loin le courant, comme s’il attendait d’un incident l’inspiration qui semble l’avoir abandonné. On ne saurait expliquer autrement son attitude en présence des expéditions des corps-francs pour la Sicile. On peut avoir une certaine sympathie pour Garibaldi et ses volontaires allant affronter, au nom d’une foi patriotique ; des chances et des périls imprévus ; il est impossible d’accorder sa confiance ou son estime à un gouvernement qui tolère l’organisation et le départ de telles expéditions. S’il les approuve secrètement, il manque de franchise ; s’il les subit malgré lui, il manque de force : triste dilemme qui accuse son honnêteté ou dénonce sa faiblesse ! Situation pénible et peu digne, qui ne pourrait se prolonger sans inspirer de sérieuses et légitimes inquiétudes, nous ne dirons pas seulement aux rigoristes du droit public, justement émus d’un spectacle si anarchique et si démoralisant, mais aux plus sincères amis de l’Italie, qui voient avec tristesse le gouvernement abdiqué par ceux à qui il appartient, et devenu le jouet des passions de la multitude, c’est-à-dire en réalité, comme cela arrive toujours lorsque la multitude semble maîtresse, d’une poignée de meneurs ignorés. Un gouvernement déjà si embarrassé de ses dernières acquisitions n’a évidemment rien à gagner à l’annexion de la Sicile et de Naples. Il faut être fort pour pouvoir être modéré ; pouvons-