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le Piémont, se laissant aller aux entraînemens de la révolution, se heurtait de nouveau à l’Autriche, le résultat du choc ne serait malheureusement pas douteux. Le gouvernement de Turin se flatterait-il d’entraîner encore une fois la France au-delà des Alpes ? Ce calcul, s’il existait, serait peu patriotique. Que serait pour l’Italie une indépendance deux fois demandée et deux fois due à une intervention étrangère ? Nous savons que bien des Italiens croient avoir acheté le concours perpétuel des armées françaises par la cession de la Savoie et de Nice, et nous regrettons qu’un prétexte ait été donné à une pareille illusion ; mais ce n’est qu’une illusion, et il y aurait à s’y complaire une jactance blessante pour la France. Si le gouvernement piémontais se place, par sa connivence avec les tentatives révolutionnaires dont Naples pourrait être l’objet, dans une situation telle qu’il ne puisse plus résister à l’entraînement révolutionnaire et soit forcé d’attaquer l’Autriche, il ne lui sera pas permis de compter sur le concours de la France. Il n’aura suivi la conduite qui l’amènerait à une telle extrémité qu’au mépris des conseils du gouvernement français, et en cédant à des excitations populacières auxquelles il n’aura eu ni le courage ni la force de résister. Comment supposer que le gouvernement français donne dans l’action son concours à une politique qu’il aura d’avance frappée de son blâme ? comment admettre qu’une nation comme la France puisse aliéner sa liberté d’action au point de se mettre à la remorque des caprices d’une politique née dans les régions qui échappent aux influences régulières, et accorde jamais au Piémont le pouvoir de la compromettre contre son gré ? Le Piémont ne pourrait pas compter davantage, il doit le savoir, sur le concours de l’Angleterre. Sans doute les sympathies individuelles ne lui manqueraient pas parmi les Anglais ; des voix éloquentes s’élèveraient en sa faveur dans.le parlement : quelque vieil Appius britannique tel que lord Ellenborough s’éprendrait d’un enthousiasme patricien pour les chefs de ses corps-francs ; mais jamais, dans les circonstances présentes, lorsque tout est possible en Orient, un gouvernement de la reine n’irait de gaieté de cœur sacrifier à de romanesques sympathies l’utilité pratique de l’alliance de l’Autriche. La marche révolutionnaire conduirait donc le Piémont à une lutte avec l’Autriche. Dans cette lutte, il serait isolé ; isolé, il serait menacé d’un sévère échec. Cet échec serait un désastre pour l’indépendance de l’Italie. Qu’auraient gagné le Piémont et l’Italie, si, ayant rendu de nouvelles interventions nécessaires, les puissances intervenantes exécutaient cette fois, les armes à la main, un nouveau traité de Villafranca ?

Il n’y a pas, nous en sommes sûrs, d’exagération malveillante à recommander au Piémont et à l’Italie la méditation sérieuse de ces perspectives. Nous savons que l’on répondra au nom du Piémont que nos hypothèses sont extrêmes, et que le nouveau royaume italien, accru de Naples, serait assez sage pour ne point attaquer l’Autriche. Nous répliquerons que, s’il veut faire croire à sa sagesse dans l’avenir, le Piémont fera bien de donner le gage de