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et déjà lancé sur cette pente qui devait l’entraîner dans l’abîme. L’inquisition, qui les extermina, écrivait sur sa bannière ces paroles de saint Jean : « Si je m’élève de la terre, j’emporterai tout avec moi, » et les persécutés répétaient en allant au supplice les mots du même évangéliste : « Vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous connaîtra, et vous serez vraiment libres. » Ainsi les deux partis invoquaient également l’Évangile ; mais ce fut le premier qui triompha. L’inquisition, devenue l’idéal politique de l’Espagne, étouffa le germe de la vérité, le principe de la liberté, raffermit le règne de l’autorité sur la conscience, et à ce prix rétablit le calme et l’uniformité religieuse.

« On ne peut nier, dit Pietro Soave (Fra Paolo Sarpi) dans son Histoire du Concile de Trente, que les exécutions successives qui eurent lieu en Espagne n’aient eu pour effet de maintenir ce royaume dans la tranquillité, pendant que partout ailleurs débordait la sédition. » Ce témoignage résume l’opinion générale des historiens espagnols touchant la persécution des partisans de la réforme en Espagne. Ils invoquent à l’envi, — et je parle de nos contemporains, — la raison d’état et l’absolue nécessité de fonder sur l’uniformité de religion l’unité politique, d’où devaient résulter la grandeur et la prospérité de la nation. Ainsi le système inauguré par les rois catholiques, suivi par Charles-Quint, appliqué avec une vigueur inflexible par Philippe II, trouve encore des apologistes, non-seulement officiels, mais désintéressés, d’un patriotisme incontestable sinon très éclairé, et qui ne semblent point comprendre, en relisant l’histoire, que cette politique tant vantée est de tout point irrationnelle, inhumaine, immorale, inique. Loin d’amener la grandeur de l’Espagne, elle a précipité sa ruine. L’Espagne a su se préserver de la contagion hérétique, — on sait comment et à quel prix, — et elle est descendue au dernier rang des nations. La réforme pouvait-elle la sauver en la détachant de Rome ? On peut le croire sans trop d’invraisemblance, car la réforme n’était qu’un grand mouvement religieux, compatible avec le développement des facultés de l’intelligence et des instincts de sociabilité, c’est-à-dire avec les conditions mêmes de la civilisation et du progrès. À ce point de vue, douter que la réforme pût convenir à l’Espagne, ce serait douter que le christianisme ait été un élément de civilisation pour les peuples modernes, pour la race occidentale.

Les réformateurs espagnols ne voulaient autre chose que le rétablissement du christianisme primitif, l’application et l’observance des doctrines de l’Évangile : sous ce rapport, ils restèrent dans les principes mêmes de la réformation, qu’un historien moderne (M. Merle d’Aubigné) distingue avec raison des principes du protestantisme, bien que le protestantisme soit une conséquence immé