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peines canoniques et spirituelles, et le déclara absous des censures ecclésiastiques. Si l’absolution était incomplète, c’était enfin une absolution, et ce fait seul condamnait l’iniquité du saint-office.

Carranza mourut le 2 mai 1576, à l’âge de soixante-treize ans. Le pape lui fit de magnifiques funérailles, lui éleva un monument somptueux, et dans une inscription tumulaire il rendit hommage à la pureté de ses mœurs, à sa haute capacité, à son savoir étendu, à son éloquence, à sa charité envers les pauvres ; mais ce que l’inscription ne dit point assez, et ce qu’il y eut de plus merveilleux chez cet homme illustre, ce fut sa patience inaltérable. Pendant sa captivité de dix-sept ans, il montra une grande force d’âme ; on ne l’entendit jamais se plaindre de l’iniquité de ses juges ni des sourdes menées de ses ennemis. À son lit de mort, au moment de recevoir le saint viatique, il déclara que jamais il n’avait offensé Dieu en matière de foi, que néanmoins il estimait juste la sentence qui avait été prononcée à la suite des raisons et des preuves alléguées contre lui.

Que Carranza fut hérétique, c’est ce que je n’oserais affirmer avec la même assurance que M. de Castro. Il est incontestable que dans ses écrits se trouvaient des propositions analogues à celles des réformateurs allemands : l’auteur déclare lui-même, dès le début de son catéchisme, qu’il veut puiser la doctrine chrétienne aux sources primitives. En cela, il se conformait aux principes professés par l’évêque Prioli, le cardinal Pole, le cardinal Morone, et autres illustres romanistes. Il voulait, comme eux, cette réforme mitigée qui devait restituer à la parole écrite l’autorité que lui avait fait perdre la tradition de l’église catholique, sans se séparer toutefois de cette église. Carranza appartient donc à l’histoire de la réforme, non à celle du protestantisme. Il entra pour sa part dans le mouvement de rénovation religieuse, mais non comme les réformateurs de Séville. Ceux-ci appartenaient à une véritable église séparée de la communion catholique : Carranza prétendait rester dans cette communion en corrigeant quelques abus consacrés par le temps, mais qui compromettaient la pureté de la doctrine. Pallavicino, dont on ne récusera pas le témoignage, affirme qu’il n’y avait contre lui que des présomptions et point de preuves certaines. Il ajoute « qu’à sa mort il donna des marques non-seulement d’une foi non corrompue, mais encore d’une dévotion singulière. »

La persécution de l’archevêque Carranza affermit encore le pouvoir sans limites de l’inquisition. Dans ce procès scandaleux, presque tous les théologiens espagnols furent impliqués, notamment ceux qui avaient assisté au concile de Trente. Neuf prélats parmi eux avaient défendu avec une grande force les prérogatives de l’autorité épiscopale. L’inquisition leur fit voir que cette autorité n’était rien à côté de la sienne, et qu’elle était assez puissante non-seulement