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dispositions envers ce dernier étaient ouvertement favorables : il se souvenait du zèle avec lequel il avait servi l’église, et comme on le pressait un jour d’interdire la vente du catéchisme incriminé, il répondit en colère que « cet ouvrage n’avait pas été condamné, et que, pour si peu qu’on le poussât, il se sentait très disposé à l’approuver motu proprio. »

Cependant il fallait faire traduire en latin les pièces de la procédure pour les juges italiens qui n’entendaient point l’espagnol : ce travail prit beaucoup de temps. Trois ans se passèrent en conférences ; l’inquisition d’Espagne envoyait sans cesse des informations et des rapports. Llorente, qui a lu toutes les pièces du procès, a compté plus de vingt-six mille pages d’écriture. Six ans s’écoulèrent sans qu’il fût possible d’obtenir une décision. Pie V mourut le 1er mai 1572, et fut remplacé dans la chaire de saint Pierre par Grégoire XIII. Quelques contemporains prétendent qu’avant sa mort, Pie V avait prononcé une sentence d’absolution ; mais cette assertion est dénuée de preuves. Enfin, après quatre années de nouvelles procédures, le 14 avril 1575, Grégoire XIII, suffisamment instruit, à ce qu’il paraît, prononça la sentence définitive. Carranza, seul, tête nue, à genoux devant le pape entouré de ses cardinaux, d’une foule de prélats et de religieux, entendit l’arrêt qui le condamnait à faire une abjuration générale pour s’être entaché des doctrines hérétiques, à rétracter seize propositions malsonnantes contenues dans ses écrits, parmi lesquelles celle-ci : « Le culte des images et des reliques des saints est une institution purement humaine. » Le décret de l’inquisition qui prohibait l’usage de son catéchisme fut confirmé. Suspendu de ses fonctions épiscopales, on lui imposa pour pénitence de passer cinq ans à Orviéto, dans un couvent de son ordre, et de visiter préalablement les sept basiliques de Rome. « Dans l’intention du pape, dit l’inquisiteur Diego de Simancas dans son autobiographie, la réclusion et la suspension devaient être à perpétuité ; l’âge de l’accusé faisait pressentir qu’il ne vivrait pas au-delà de cinq ans. » Il survécut à peine quelques jours. Transporté dans le couvent de la Minerve, de l’ordre des dominicains, il y mourut épuisé par le chagrin et par les fatigues d’une longue captivité. Simancas prétend qu’après son abjuration, qu’il aurait faite d’un air calme et d’un ton indifférent, le pape lui dit : « À cause de votre longue détention et des services jadis rendus à l’église, la sentence n’a pas été plus rigoureuse ; » mais tout ce que dit Simancas n’est point article de foi, et l’on peut justement reprocher à M. de Castro de l’avoir trop fidèlement suivi. Dans le fait, Carranza était déclaré suspect du crime d’hérésie que lui avait imputé l’inquisition ; mais l’inquisition l’aurait condamné sans miséricorde à être brûlé vif ou étranglé, tandis que la cour de Rome le condamna seulement à des