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auparavant son mariage à Guadalaxara avec Elisabeth de Valois. À Tolède, l’inquisition trouva plaisant de donner une nouvelle représentation tragique à la cour et aux cortès. Dans ce troisième acte de foi périrent un jeune protestant d’Augsbourg et quelques hérétiques des Pays-Bas. Des archers de la garde, des gentilshommes du palais, figurèrent comme accusés dans la cérémonie. Des grands d’Espagne suspects d’adhérer en secret à la doctrine évangélique n’échappèrent aux poursuites du saint-office qu’en donnant quelques onces de leur sang pour être brûlé en signe de satisfaction.

A Valladolid, la répression avait été terrible ; toutefois l’hérésie ne fut point immédiatement extirpée. Caçalla avait fait des prosélytes, bien qu’il eût déclaré jusqu’à la fin qu’il n’avait jamais dogmatisé. Plus de vingt ans après sa mort, des disciples courageux lui donnèrent un éclatant démenti. Je n’en veux d’autre preuve qu’un horrible épisode. Sous le pontificat de Grégoire XIII, en 1581 ou 1582, un gentilhomme de Valladolid dénonça ses deux filles à l’inquisition comme hérétiques. L’inquisition les menaça de les condamner au feu ; le père demanda la permission de les emmener pour les faire instruire dans sa maison. Les convertisseurs se présentèrent en foule ; mais les jeunes filles, instruites et versées dans la lecture de la Bible, tinrent ferme contre les argumens. Il fallut renoncer à rien obtenir par la discussion ; le père jugea le moment venu d’exécuter un projet qu’il avait conçu depuis longtemps. Se constituant de sa propre autorité le juge de sa famille, il condamna ses filles à mort, à la mort des relaps et des hérétiques, et lui-même fut le bourreau. Il dressa un bûcher dans la cour de sa maison, y fit monter les victimes, y mit le feu, et pas un cri ne s’éleva contre ce fanatique ! L’hérésie dans ce temps-là, c’était le déshonneur, l’infamie, la plus affreuse calamité qui pût atteindre une famille. Il faut bien connaître l’Espagne, il faut être né en Espagne pour comprendre le sens du mot herege, hérétique : il n’y a rien au-delà. Après avoir raconté cette horrible histoire, un réformateur espagnol se contente de faire cette simple réflexion : « Il ne faut pas trop s’en étonner, car le Seigneur, dans saint Luc, nous a prévenus qu’il en devait être ainsi. Vous serez, dit-il, livrés même par vos pères, par vos frères, par vos parens et vos amis, et ils vous tueront, et à cause de moi vous serez détestés de tous. »

Comme à Valladolid, il y eut à Séville deux grands triomphes, l’un en septembre 1559, l’autre en décembre 1560[1]. L’un et l’autre furent célébrés en grande pompe. Comptant sur la présence du roi, le saint-office avait déployé tout son luxe ; mais le roi ne put s’y

  1. Dans l’acte de foi du 24 septembre 1559, vingt et un condamnés furent livrés aux flammes, quatre-vingts furent réconciliés, c’est-à-dire soumis à des peines humiliantes. Dans l’acte de foi du 22 décembre 1560, quatorze personnes furent brûlées dont trois en effigie, et trente-quatre furent réconciliées.