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rôle, quels services ils rendirent au pays, quels obstacles les firent échouer. Les origines de la réforme en Espagne, les progrès et la fin de ce mouvement hardi, l’histoire de ses principaux chefs, seront tour à tour l’objet de cette étude. On y trouvera la preuve, nous l’espérons, que la victoire de l’inquisition a été toute matérielle, et que la tentative des réformateurs espagnols n’a pas été entièrement stérile. L’inquisition n’a fait en définitive qu’exclure par la terreur l’esprit de réforme du domaine religieux ; elle n’a pu empêcher le mouvement de libre pensée que représentent hors du pays les réformés espagnols échappés au supplice, et qu’on peut suivre en Espagne même, dans la littérature, jusqu’à l’avènement de Philippe IV, c’est-à-dire jusqu’au moment où s’éteint la forte race du XVIe siècle.


I

La contagion s’était manifestée de bonne heure : elle vint d’abord de l’Italie, C’est là en effet que les écrivains connus sous le nom d’humanistes, qui inaugurèrent en Espagne la renaissance des lettres, cherchèrent dès la fin du XVe siècle leurs inspirations. Antonio de Lebrixa est le représentant le plus remarquable de cette classe de penseurs et d’érudits. À leur approche, la vieille scolastique frémit. Le célèbre savant Louis Vivès raconte qu’à Valence, sa patrie, son vieux maître, dévoué à la routine de l’école, faisait déclamer ses élèves contre les novateurs ; lui-même avoue qu’il avait composé contre Antonio de Lebrixa des déclamations détestables et vivement applaudies. Des succès de ce genre ne pouvaient séduire un homme tel que Vivès, l’esprit le plus judicieux de son temps. De bonne heure il quitta l’Espagne, et profita si bien de son séjour dans les universités du nord, qu’il ne tarda point à prendre rang lui-même parmi les plus illustres humanistes ; il figura, malgré sa jeunesse, entre Érasme et Budée, dans ce glorieux triumvirat du XVIe siècle, où il brilla par le jugement autant que ses deux rivaux par l’éloquence et l’invention. Vivès devina mieux que nul autre le rôle souverain qui était réservé à l’érudition, c’est-à-dire au savoir joint à l’esprit de libre recherche. Il est un de ses écrits surtout qui atteste combien ce génie étendu et pénétrant comprenait l’état et les tendances de son époque : c’est le Traité des causes de la décadence des études, son chef-d’œuvre peut-être. Dès le début de sa carrière, il s’était fait connaître par son Commentaire sur la Cité de Dieu de saint Augustin. La préface de cette œuvre est un modèle de bon sens et de fine raillerie. On y voit mise à nu l’ignorance prétentieuse de la scolastique monacale ; les franciscains et les dominicains y sont vigoureusement raillés : on bat avec leurs propres armes ces infatigables ergoteurs, on les confond avec