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attentifs, à des prescriptions médicales intelligentes, à une nourriture exquise et substantielle… Quand des poulets de printemps arrivent sur le marché… Pardon, ce n’est pas d’eux que j’ai à vous parler… A mesure que les jeunes filles débutent dans le monde, les plus beaux échantillons de l’espèce, à mérite égal pour tout le reste, attirent naturellement ceux qui peuvent prétendre au luxe d’une belle femme. Par cette première alliance se trouve déjà relevée la génération qui va suivre. Il est clair que de proche en proche certaines familles ont acquis ainsi un type de conformation et de traits supérieur à la moyenne. De là ce fait significatif que les villages d’un comté tout entier vous fourniraient à peine ce que vous trouvez de beaux hommes et de plus belles femmes, à la ville, dans l’enceinte du même salon. Les causes de déchéance, les abus, la déperdition de vie qui atteignent et font dégénérer les classes les plus riches ne doivent pas fermer nos yeux à ce résultat, qui sera plus sensible encore après deux ou trois générations.

« Le côté faible de notre chryso-aristocratie, comme le côté faible de notre dandysme économique, c’est que la virilité, la vaillance, lui font faute plus souvent que son luxe et les blasons, moins légitimes encore, qu’elle étale aux panneaux de ses carrosses. La très petite estime accordée par nos gens du nord à l’état militaire est un fait curieux à noter. On exige de nos jeunes gens qu’ils dorent leurs éperons, mais ils n’ont pas à les gagner. Le partage égal des biens met les cadets de nos riches familles au-dessus du besoin qui les pousserait dans la carrière des armes. L’armée perd ainsi un élément qui élèverait son niveau moral, et la classe supérieure de la gent financière oublie que l’héroïsme devrait être une de ses vertus. Je ne crois cependant pas à une aristocratie sans vigueur, à une aristocratie éreintée. On verra peut-être la nôtre montrer son énergie quand le temps sera venu, si ce temps doit venir jamais. »


En attendant, notre Bostonian ne fait nulle difficulté d’avouer son penchant pour le man of family, l’homme de race, qu’il oppose au self-made man, à l’homme fils de ses œuvres. Celui-ci a sa valeur et son mérite ; mais il lui manque toujours quelque chose. Il ressemble à ces maisons bâties par le propriétaire lui-même, architecte improvisé ; on les admire en raison de leur origine, non pour leur perfection intrinsèque. À mérite égal d’ailleurs, l’homme bien né l’emporte dans l’estime de notre dilettante républicain, qui définit ainsi son idéal : « Quatre ou cinq générations de gentlemen et de gentlewomen ; parmi elles, un membre du conseil de province nommé par le roi, au moins un gouverneur, un ou deux docteurs en théologie, un membre du congrès, ce dernier remontant à l’époque où on portait encore des tiges de bottes ornées de glands. » Il lui veut une galerie de portraits de famille. Il faut que ces portraits soient signés par le peintre à la mode du temps où ils furent faits. Le membre du conseil aura posé devant Smibert, et le grand-oncle négociant aura été peint par Copley en pied, coiffé de velours, assis dans son fauteuil, avec sa robe de chambre à grands ramages.