Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/378

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plutôt gris de salles, a le fâcheux privilège d’attirer beaucoup les guêpes. Ce raisin est également estimé dans la Meuse et la Moselle, il constitue la base des crus renommés de Thiaucourt et de Dornot ; en Alsace, on s’en sert pour préparer le vin de paille, et en soumettant à la cuve le fruit sans attendre que la pellicule fût déprimée, M. le comte Odart a pu en obtenir un excellent vin d’entremets.

Les variétés choisies des pineaux sont admirablement appropriées à la viticulture de nos coteaux ; elles donnent des vins légers, suaves et salubres, assez alcooliques cependant pour assurer une longue conservation. Dans le midi, ces plants mûrissent trop vite et donnent en tout cas des vins bien différens de ceux de la Bourgogne : le vin de Constance, près du Cap, par exemple, est fabriqué, assure-t-on, avec le jus des raisins récoltés sur des plants de pineaux venus de la Côte-d’Or. Ce vin, comme chacun sait, est doux, aromatique, liquoreux, mais on ne saurait le boire à longs traits comme nos vins plus coulans de Bourgogne, de Bordeaux et de la Champagne.

Après avoir décrit les caractères et les qualités remarquables des meilleurs cépages composant la tribu qui règne sans rivale dans nos vignobles du centre les mieux situés, il est à propos de parler d’une tout autre tribu introduite dans les cultures des mêmes contrées, parfois favorable aux intérêts du viticulteur, mais souvent en butte aux malédictions des connaisseurs, en ce qu’elle laisse presque toujours planer le doute sur la qualité des vins garantis exempts de tout mélange avec des produits de cépages inférieurs. Il est bon d’en dire un mot, ne fût-ce que pour montrer ce qu’il peut y avoir de vrai, de faux ou d’exagéré dans l’opinion qu’on s’est formée sur ce plant.

Un édit du conseil de la république de Messine en 1338, plusieurs ordonnances des ducs de Bourgogne, une notamment qui date de 1395, et depuis lors les édits des parlemens de Dijon, de Besançon et de Metz ont proscrit l’usage d’un plant de vigne nommé gamay[1], cépage qui a été traité de déloyal et même d’infâme par le duc Philippe le Hardi, surnommé le prince des bons vins. Une telle proscription était sage alors que l’on ne connaissait que le gros ou rond gamay, si rarement cultivé en Bourgogne que le comte Odart n’a pu le rencontrer qu’à Paris ; mais, comme le fait remarquer ce savant œnologue, on a depuis obtenu, par la voie des semis, des gamays qui ne méritent plus de tels anathèmes. Voici les caractères de la tribu si sévèrement proscrite. Le gros gamay ou gamay

  1. Dont le nom est dérivé du bourg appelé Gamay, en Bourgogne, où d’abord il fut cultivé.