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en rencontre les charpentes informes dans le San-Juan, supportant quelquefois un îlot de verdure. J’ai failli périr en 1859 sur le dernier d’entre eux, la Vierge, surpris au milieu du lac par une explosion de chaudière. Toutes les tentatives faites depuis pour réorganiser le transit n’ont pu aboutir[1]. San-Juan-del-Norte est resté ainsi sans communications régulières avec l’intérieur, comme le Nicaragua, restait sans commerce, sans revenus publics et sans production. Ses habitans ont encore obtenu du crédit pour remplir leurs magasins ; mais depuis quatre ans ils attendent en vain des consommateurs, du numéraire, et le riche fret de retour des produits indigènes. Le mouvement du port s’en est ressenti. A peine un trois-mâts génois, espagnol ou américain, vient-il de loin en loin le visiter. Je n’y ai vu qu’un bâtiment de 150 tonneaux, l’Annetina, qui, depuis 1842, apporte chaque année à Grey-Town un chargement de vins, de liqueurs, de conserves et d’étoffes anglaises, et s’en retourne frété de cuirs secs, d’écaillés de tortue et de bois de Brésil, à défaut de surons d’indigo. Quant au pavillon français, il serait complètement inconnu dans ces parages, y compris les côtes néo-grenadines, quoique nous ayons une station des Antilles à trois cents lieues de là, si une maison de Bordeaux, mieux inspirée que ses rivales, — MM. Jules Hue et Ce, — n’expédiait chaque année à Aspinwall quatre navires chargés de produits du midi très appréciés sur ces marchés lointains, et ne prouvait ainsi tout ce que notre commerce gagnerait à des relations suivies avec l’Amérique centrale.

Telle est l’histoire d’hier de ce coin de terre si merveilleusement doté par la nature et si profondément troublé par les passions humaines. Pourquoi faut-il que l’histoire d’aujourd’hui soit encore un déni de justice et le renversement de tout ce qu’on espérait de la mission de sir William Ouseley ? Je ne sais quel génie fatal préside aux conseils des gouvernemens ; mais les solutions les plus simples, les plus évidentes, les plus loyales, sont toujours celles qui ont le moins de chances d’être adoptées par la diplomatie. J’ai raconté comment la convention de Cuba, près de Grenade, n’avait toléré l’occupation provisoire de San-Juan-del-Norte que sous la réserve de la question de droit, qui devait être vidée le plus tôt possible. Cette question n’était douteuse pour personne, pas même pour les ministres anglais. C’était bien au Nicaragua qu’appartenait traditionnellement cette porte du fleuve sur l’Atlantique, et du jour où l’on voudrait rentrer dans le

  1. J’ai rapporté moi-même de mon second voyage un traité de transit qui donnait encore à la France ce fructueux privilège jusqu’à l’ouverture du canal interocéanique ; mais il ne s’est pas rencontré un seul financier, une seule institution de crédit qui comprit l’importance exceptionnelle de cette opération, et la déchéance est arrivée au bout de six mois, faute d’un cautionnement de 200,000 francs.