fièvres pernicieuses dont l’effet est quelquefois foudroyant. Dès les premiers temps de la conquête, ce fléau régulier provenant de l’inondation des terres basses, qu’un soleil de feu transforme en foyers d’infection, avait donné une terrible réputation à ces parages. La ville de Porto-Bello, où se chargeaient les galions de l’Espagne, était abandonnée huit mois de l’année, sous peine de mort, par sa population de marchands et d’aventuriers. Je ne parle pas de la fièvre jaune, cet autre visiteur impitoyable, qui de temps immémorial a promené sa torche lugubre des Antilles au fond du golfe mexicain, de la Nouvelle-Orléans à La Havane. Les marais vaseux du Rio-Chagres gardent le secret de bien des victimes allemandes, irlandaises, chinoises même, dont le chiffre ne sera jamais connu. Quant à Aspinwall, il est bâti tout entier sur pilotis, le plancher des maisons élevé à un mètre du sol pour laisser libre carrière à l’inondation périodique. Il y a donc au moins deux mois de l’année où toutes les maisons plongent dans l’eau comme les kiosques chinois de la rivière de Canton, à l’exception de la chaussée du chemin de fer et de quelques autres passages nécessaires. Qu’on juge de ce que doit engendrer de miasmes délétères cette incubation de détritus végétaux et animaux par une chaleur de 30 à 35 degrés Réaumur. Telle est pourtant la double fascination de la liberté et du soleil que le séjour d’Aspinwall, en dehors même de leur intérêt, parait très supportable à ceux qui l’habitent. Je n’y ai vu, pour moi, qu’une admirable végétation, une large abondance de toutes choses, une population mélangée où le bien-être domine, et la lutte toujours sympathique de l’homme contre la nature.
Je dois ajouter, pour être fidèle à la vérité historique, qu’on y rencontre l’élite des flibustiers sans emploi à l’affût des événemens. Le colonel Kinney y passait ses journées assis sous une galerie, aspirant les fraîches brises de la mer, et combinant peut-être déjà la ridicule échauffourée qu’il devait tenter à Grey-Town trois mois plus tard. Walker y faisait de fréquentes apparitions, toujours réservé, toujours impénétrable. C’était à Colon qu’il s’était réfugié pendant une semaine après son arrestation par le commodore Paulding. Je n’avais jamais vu dans ce trop célèbre aventurier qu’un de ces exterminateurs méthodiques pour qui la vie humaine et tous les droits qui découlent de ce premier droit disparaissent devant une théorie ou un intérêt. Les informations recueillies à Aspinwall, et confirmées depuis sur le théâtre de ses exploits, n’ont pas modifié cette première impression. Sa figure même, insignifiante au premier abord, révélait le secret de ce caractère par l’éclat froid et métallique de ses yeux clairs, quand ils étaient animés par la contradiction. Il faut remonter chez nous jusqu’à Saint-Just pour trouver une personnification,