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le drapeau étoilé au bout d’un rail-way de 100 mètres de long pratiqué de la mer à leurs docks pour le déchargement de leurs marchandises. Toutes les nations commerçantes y ont des consuls, même la France, qui ne prodigue pas ces utiles fonctionnaires dans les parages américains. On y par le toutes les langues, on y coudoie toutes les races, et cet îlot, qui ne produit rien, offre certainement plus de comfort, d’élégance, de véritable civilisation que la plupart des capitales des républiques voisines de la Côte-Ferme.

On devine que c’est principalement à son rôle d’intermédiaire que Saint-Thomas doit son importance commerciale et ses avantages. Ce rôle, que la colonie danoise doit aux circonstances, n’est que transitoire, et les relations de plus en plus directes entre le producteur et le consommateur supprimeront tôt ou tard ce rouage inutile. En attendant, Saint-Thomas a vu naître d’immenses fortunes qui sont malheureusement sujettes à de grands désastres, et dont les défaillances locales ont souvent de terribles contre-coups sur nos marchés[1]. Au moment où nous arrivions, deux des plus fortes maisons de la ville venaient de sombrer. On pouvait s’attendre à une profonde perturbation sur la place. Il n’en fut rien. Marseille s’en est plus ressentie que Saint-Thomas. Les deux négocians qui avaient déposé leur bilan n’en continuèrent pas moins la gestion de leurs affaires, et leurs vastes magasins, qui représentaient le plus clair de leur actif, ne cessèrent pas une heure d’être ouverts au public et tenus par leurs commis.

Ces magasins, qui s’étendent sous d’immenses voûtes perpendiculaires à la mer, sont de véritables bazars fermés avec des portes de fer, et contenant des échantillons de tous les produits de l’industrie[2]. Tout y arrive de l’Europe et surtout des États-Unis. On prend toute l’année à Saint-Thomas, dans un établissement privilégié, des glaces venues des grands lacs du nord de l’Union. Le commerce américain lui fournit des farines, des vêtemens, des meubles, des provisions de toute espèce. L’Angleterre, l’Allemagne et la France lui expédient des étoffes, des vins, des objets de luxe et de comfort. C’est à la fois un entrepôt réel et un centre de commissions pour les Antilles espagnoles et la Côte-Ferme. Chaque packet apporte à ses négocians un certain nombre d’achats et de ventes. Il en résulte en temps ordinaire un mouvement commercial très actif qui se traduit par la présence de navires de tous rangs, depuis le trois-mâts jusqu’au cotre, et de pavillons de toute provenance,

  1. Une de ces grandes fortunes est possédée par un M. de Rothschild, qui cependant n’appartient pas à la puissante famille de ce nom.
  2. Un expéditeur de New-York avait envoyé à Saint-Thomas jusqu’à des patins… en pleine zone torride !