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comment voulez-vous que j’use de ma liberté ? Réduite à tout craindre, la presse prend volontiers le parti de ne rien dire, heureuse encore quand on ne se plaint pas d’un silence qui est sa seule liberté légale. Mais qu’est-ce qu’un journal qui ne parle pas ? Le journal a été inventé pour parler et non pour se taire. J’ajoute que, quand les journaux ne parlent pas, le public, ne sachant rien, tout le surprend, tout l’inquiète. Les commérages remplacent la discussion. La sécurité des esprits n’y gagne rien ; le silence ajoute à l’anxiété.

Il y a des personnes qui croient que le système des avertissemens est nécessaire au maintien de l’ordre public. De cette manière, dit-on, la presse est prudente et décente. Je n’ai pas cette confiance dans la vertu des avertissemens administratifs. C’est un système qui n’a encore été essayé que dans un sens, c’est-à-dire pendant le calme des esprits. Dans cet état de choses, si un journal est averti pour quelque intempérance de, langage, il ne trouve d’appui nulle part. Le régime des avertissemens se pratique donc sans difficulté. Supposez d’autres circonstances, d’autres dispositions morales et politiques dans les esprits, je ne sais pas comment le droit d’avertissement pourra s’exercer sans inconvénient. Ce ne sera plus en effet un journal qui sera averti, ce sera l’opinion publique qu’aura exprimée le journal. Tout change alors : le journal, sentant qu’il n’est plus isolé devant l’administration, est plus fort et plus hardi. L’administration de son côté, sentant qu’elle n’a plus affaire à quelques écrivains isolés, mais à une partie considérable de l’opinion publique, est plus timide à user de son droit, et elle a raison. Supposez enfin qu’un jour les débats du corps législatif soient vifs et ardens et qu’un journal les commente : l’avertira-t-on ? Lui dira-t-on qu’il est coupable de répéter ce qu’ont dit les membres du corps législatif ? Si le corps législatif a voté l’impression et la distribution d’un discours, si ce discours est reproduit dans un journal en tout ou en partie, ce journal sera-t-il averti ? L’autorisation donnée par le corps législatif sera-t-elle contredite et invalidée par la décision du ministre de l’intérieur ? Le ministre n’ose-t-il pas avertir le corps législatif en avertissant un journal, alors le droit d’avertissement s’affaiblit. Le ministre croit-il devoir user de son droit malgré l’autorisation du corps législatif, alors la lutte commence. Jusqu’à ce que le régime des avertissemens ait été exercé dans un temps critique et en face d’une opinion publique déclarée, je puis dire que l’expérience de l’efficacité de ce régime n’a pas été faite.

S’il y a de pareils doutes sur l’efficacité des avertissemens administratifs, s’ils ne sont une garantie que dans les temps paisibles, c’est-à-dire dans les temps où l’administration n’a pas besoin d’armes