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vèrent la discipline qu’ils se donnent ou qu’ils reçoivent ; il faudrait, autre miracle, que la presse aussi fût tout entière composée de saints disposés à ne jamais abuser de la toute-puissance. Cet heureux accord de la sainteté des administrateurs et de l’humilité des journalistes serait le paradis sur la terre. Nous ne pouvons guère l’espérer. Au lieu de cela, la lutte entre un pouvoir sans frein et une presse sans appui, voilà ce que nous montre l’histoire, et dans cette lutte la presse succombe inévitablement après quelques violences impuissantes.

D’un autre côté, M. Vingtain prend une presse soumise à la censure, mais ayant tout près d’elle des assemblées libres qui contrôlent la marche du gouvernement ; la liberté de la tribune, la liberté des élections sont partout pratiquées et organisées. La presse seule n’est pas libre. Eh bien ! il lui vient alors de la liberté de tous les corps de l’état une liberté plus grande, plus sûre, plus durable que celle que, dans l’autre supposition, elle tenait seule de la loi, et qu’elle prétendait exercer seule. Ce parallèle judicieux, qui témoigne dans M. Vingtain d’un grand sens politique, fait voir combien il est impossible à la liberté de la presse de vivre seule. Elle sert à toutes les autres libertés ; mais seule, elle ne peut pas se suffire à elle-même. Elle ressemble en cela à l’esprit lui-même, dont on a dit qu’il servait à tout et ne suffisait à rien.

Je n’ai parlé jusqu’ici que de la liberté de la presse en général, montrant qu’elle ne peut exprimer l’opinion publique que lorsqu’elle n’est pas seule à l’exprimer. Que serait-ce si je parlais de la condition particulière de la presse dans notre pays ? Ici je sens fort bien jusqu’à quel point je dois être timoré et réservé ; je plaide pro domo mea, je plaide devant un tribunal qui ne m’est pas favorable, et notez bien que par ce mot je désigne moins encore l’administration que le public. Il viendra peut-être un moment où le public accusera la presse d’avoir été faible et timide. Si la presse en ce moment était passionnée, elle ne rencontrerait pas seulement les punitions de la loi, elle rencontrerait l’indifférence publique ; elle serait martyre dans le vide, ou même on s’amuserait de ses doléances. Nous nous garderons donc bien de lui parler de nos souffrances ou de nos gênes. Il n’y a qu’entre malades, aux eaux, qu’on parle volontiers de ses maladies, et que nous écoutons celles du prochain pour avoir le droit de lui raconter les nôtres. Comme le public ne souffre pas, il ne comprendrait pas que nous lui disions que nous ne sommes pas sur des roses.

Je suis sincèrement persuadé que l’empereur veut la liberté de la discussion ; il la veut décente et sérieuse, mais il la veut et il l’a mise dans la constitution. Il a déclaré qu’il était responsable devant