Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/314

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

I.

N’avons-nous pas, diront quelques personnes, la liberté de la presse, qui suffit à l’expression de l’opinion publique ? — Je me souviens qu’un vieil ami des philosophes du XVIIIe siècle me disait un jour que le meilleur système de gouvernement était une monarchie très forte avec une presse très libre. L’excellent homme prenait pour un système de gouvernement la contradiction qu’il avait vue dans sa jeunesse, avant 89, quand la monarchie était presque absolue, et que tout le monde écrivait ou parlait contre le gouvernement. La royauté était tempérée par les pamphlets, et la liberté à son tour était tempérée par les lettres de cachet. Tout cela allait ensemble, disait mon philosophe. — Mais combien de temps, lui répondais-je, cela alla-t-il ? Il n’y a pas là, encore un coup, de système de gouvernement ; il y a une bataille entre deux adversaires, dont l’un finit par tuer l’autre. La liberté de la presse est une liberté qui ne peut pas vivre seule. C’est là son mérite. Elle défend toutes les autres libertés, mais il faut que les autres libertés la défendent aussi, il faut qu’elles la soutiennent et la contiennent, — les deux choses à la fois. On a voulu souvent établir une sorte de rivalité entre la tribune et la presse, et faire croire à l’une qu’elle gagnait tout ce que perdait l’autre. Cette rivalité n’existe pas, tout au contraire. Là où la tribune est quasi muette, la presse est presque nécessairement insignifiante, et là où la presse est faible et timide, la tribune est ordinairement sans force. Qu’est-ce que la parole de la tribune, si elle n’a pas l’écho des journaux ? Quelle autorité peut avoir un journal, s’il n’a pas derrière lui pour le soutenir et le contenir un parti dans le pays et dans les corps de l’état ?

M. Léon Vingtain, dans son excellent livre sur la liberté de la presse, a très bien compris cette sympathie entre la presse et toutes les autres libertés publiques. Il suppose d’un côté une presse dont la liberté est solennellement reconnue par la loi, qui n’est point soumise à la censure, qui enfin, à ne prendre que la lettre de la loi, est complètement indépendante ; mais cette liberté de la presse n’a derrière elle ou au-dessus d’elle aucune autre liberté, ni la liberté de la tribune, ni la liberté de conscience, ni la liberté d’association, ni la liberté électorale ; elle est solitaire et tout à fait à part, comme saint Siméon Stylite sur sa colonne. Assurément, s’il plaît au gouvernement absolu de respecter scrupuleusement cette presse sans appui et sans limite, ce sera un grand miracle ; mais quand a-t-on jamais vu ce miracle ? Il faudrait que le gouvernement fût tout entier composé de saints disposés à révérer la presse comme les pénitens ré-