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tales du hasard et de la force, et dont malheureusement nous avons été trop souvent nous-mêmes les perturbateurs étourdis. Nous avons un devoir libéral et révolutionnaire dans le bon sens du mot et un devoir conservateur. Nous voudrions que la France n’abdiquât ni l’un ni l’autre, car il est impossible d’en bien remplir l’un sans les remplir tous deux en même temps. Mais cette conciliation des deux missions qui nous sont confiées, elle n’existe que dans la pratique des institutions libérales. Par ces institutions seules, nous avons fait marcher l’Europe sans l’inquiéter ou l’irriter par des entreprises extérieures, et sans compromettre avec la paix toutes les prospérités et tous les progrès. Si nous en avions besoin, nous serions amplement confirmés dans cette conviction par le spectacle de ce qui se passe autour de nous, et par ce sentiment qui va se répandant chaque jour au dedans et au dehors, et qui est disposé à mesurer les garanties de la paix du monde aux progrès que ferait la France dans la voie des libertés intérieures.

Nous ne croyons pas être éloignés des conclusions auxquelles ces réflexions nous conduisent par le spectacle de la carrière du prince que vient de perdre la famille impériale. Le prince Jérôme avait connu ces extrémités de la fortune auxquelles le violent génie de Napoléon a lié avec sa propre destinée celle de la maison Bonaparte. Quoique l’ancien roi de Westphalie n’ait pas pu avoir de rôle politique éclatant à côté de son grand et terrible frère, il y a trois pages dans sa vie qui porteront avec honneur sa mémoire à la postérité. Le roi de Westphalie a eu le courage de dire à son frère, en temps opportun, de salutaires vérités. Nous lui avons toujours su gré d’une lettre qu’il écrivait à Napoléon à la fin de 1812 : « J’ignore, sire, y disait-il, sous quels traits vos généraux et vos agens vous peignent la situation des esprits en Allemagne. S’ils parlent à votre majesté de soumission, de tranquillité et de faiblesse, ils l’abusent et la trompent. » Puis, après avoir en traits énergiques décrit les mouvemens populaires de l’Allemagne, il ajoutait : « Le désespoir des peuples qui n’ont rien à perdre, parce qu’on leur a tout enlevé, est à redouter. » Il était temps encore pour Napoléon d’écouter ces sages avis. La belle conduite du prince Jérôme à Waterloo est assez connue : il y eut la bonne fortune d’honorer de son sang héroïquement versé le grand désastre de sa famille et de la France. Enfin les libéraux doivent être reconnaissans au prince Jérôme de s’être rallié, par sa rentrée en France en 1847, aux institutions libérales de 1830. La France libérale fut heureuse de pouvoir montrer, par l’accueil qu’elle faisait à un prince de la famille Bonaparte, que la liberté ne se défiait point du prestige d’un nom qui ne lui avait pas été favorable sans doute, mais qui avait répandu tant de gloire sur la France, et le roi Jérôme, malgré les faveurs inespérées que le sort lui a plus tard prodiguées, n’a pas dû considérer comme un des moins doux momens d’une vie si agitée les premiers mois de son retour dans la France libre, prospère, et qui ne se doutait point qu’elle al-