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Italiens ne craignent pas de commettre pour conquérir l’unité nationale. Si des expéditions s’organisent en Piémont pour aller révolutionner la Sicile, ce n’est à nos yeux qu’une patriotique tentative, qu’un effet des dissensions intestines d’un peuple, et nous ne sommes pas plus surpris de voir les Italiens du nord s’occuper des affaires des Italiens du midi que nous ne sommes étonnés, en lisant l’histoire ancienne, de voir les perpétuelles interventions des républiques grecques dans leurs affaires mutuelles. Ce flegme philosophique sied à de libéraux, pratiques et humoristes Anglais, ou à de frivoles Français, saturés d’esprit révolutionnaire ; mais comment croire que les divers souverains de l’Europe en puissent être imbus ? Aux yeux de la plupart d’entre eux, il n’y a plus, à l’heure qu’il est, de droit public en Italie ; Victor-Emmanuel a renié toutes les traditions monarchiques, et M. de Cavour tous les principes du droit des gens. L’annexion des duchés et de la Romagne au moyen du suffrage universel était déjà une chose singulièrement difficile à digérer. Au moins il y avait là des circonstances atténuantes, l’effet d’une grande guerre, la fuite des princes, etc. ; mais ce qui se passe pour la Sicile, ce qui se prépare pour le royaume de Naples, n’est-il pas le renversement de toute légalité internationale ? Quoi ! le roi de Sardaigne est en paix avec le roi de Naples ; l’ambassadeur du premier n’a pas quitté la capitale du second : chez le roi de Sardaigne pourtant, des bandes s’organisent ouvertement pour renverser le roi de Naples ; on recueille en plein jour, avec tout l’éclat de la publicité, les fonds nécessaires à l’entretien de ces corps-francs ; les volontaires de la révolution trouvent toutes les armes dont ils ont besoin, et jusqu’à des canons ; ils partent de Gênes sous l’œil du gouvernement et ont leur relâche marquée à Cagliari ! Vit-on jamais rien de semblable dans l’Europe policée ? Vit-on jamais un gouvernement régulier permettre ainsi la formation de corps de volontaires franchement recrutés contre un gouvernement ami ? Vit-on jamais un gouvernement monarchique laisser tranquillement partir de ses ports de semblables expéditions, sans essayer de réprimer ces tentatives, sans les décourager même par un signe de désapprobation ? Voilà le spectacle que donne depuis deux mois le Piémont, et nous convenons qu’il est bien fait pour scandaliser les cours européennes qui ont conservé des mœurs orthodoxes. Cependant pour de telles cours il y a là quelque chose de plus grave : l’Italie est en révolution, et cette révolution est un exemple. Il y a bien des nationalités souffrantes en Europe qui, après le triomphe de Garibaldi en Sicile, doivent rêver, elles aussi, d’enfanter des Garibaldi. Le spectacle n’est donc pas seulement pénible, il est périlleux. Nous comprenons que la plupart des cabinets en soient émus et irrités, et que les événemens de l’Italie, s’unissant aux autres motifs de crainte qui agitent les gouvernemens et les peuples, favorisent, décident et hâtent certaines combinaisons et certains rapprochemens dont on commence à s’entretenir.

Ce n’est en effet un mystère pour personne qu’une sorte d’orage diploma-